La Revanche de Blanche
votre maman, se pâme Arsinoé. Je l’aimais beaucoup. Elle a si bien élevé mes enfants. J’appréciais son esprit, sa plume. Avez-vous de ses nouvelles ?
Blanche se souvient que sa mère lui avait parlé de son premier emploi de gouvernante chez cette dame, devenue une veuve émaciée, au sourire édenté.
— Nous avons peu de lettres d’Émilie, élude Ninon.
— Molière exagère de donner à un de ses personnages le nom de mon chat, écrasé sous le sabot d’un cheval, il y a six ans. Qu’avez-vous pensé de ces bagatelles ? lâche Arsinoé d’une mine dégoûtée. Cette pièce fleure la province que Molière ne semble pas avoir quittée.
— Jean-Baptiste défend l’honnête homme, le naturel, sourit Ninon.
— … la bouse de vache, la coupe Arsinoé. Nous qui avons tant lutté pour élever les esprits, nous voilà tombées bien bas.
— En tout cas, je me suis bien amusée, ne vous en déplaise, madame, ose Blanche.
— Vous avez hérité de l’insolence de votre mère, mademoiselle, rétorque Arsinoé.
Ninon profite de l’agitation générale pour entraîner sa filleule vers le buffet où ces dames s’extasient devant le teint de lait, la chevelure châtain de la petite fille. La marquise de Sablé transpire à grosses gouttes. Elle sort de son sac un flacon de sels qu’elle hume bruyamment :
— Cette comédie m’a échauffé les sangs. Molière est un effronté. Je vais devoir m’aliter dix jours pour m’en remettre.
— Qu’est-ce qu’elles sont laides tes vieilles amies ! soupire Blanche. Ne deviens pas comme elles, Ninon. Reste jolie, comme maman. Je les déteste : elles n’aiment pas Molière. Je jouerai avec lui et je ne m’ennuierai plus jamais.
Avant de partir, elle s’attarde sur l’estrade pour respirer l’odeur des costumes, caresser les plumes, les rubans. Dans un coin, Jean-Baptiste se démaquille.
3
Après le départ d’Antoine au collège de La Flèche, dans le pays de la Loire, Blanche est la seule élève de M. Joyeux. En cette fin novembre 1664, à treize ans, elle s’est assagie. Chausses jaunes, bas roses et rubans, deux fois par semaine, le percepteur l’initie aux humanités avec ce qu’il faut de légèreté pour éveiller en elle le goût des belles-lettres. Blanche se passionne pour la poésie, surtout pour le théâtre de Corneille et de Molière dont Ninon a amendé la première version du Tartuffe . Lire lui permet de s’évader, d’oublier l’absence de sa mère. Elle se nourrit d’émotions qu’elle fait vivre à Pandore et à sa suite. Lorsqu’elle s’enthousiasme pour le métier de comédienne, sa marraine change de conversation, M. Joyeux estime qu’il y a plus sérieux dans la vie que ces balivernes.
Depuis le mariage espagnol du roi, il y a quatre ans, la paix est revenue dans le royaume. La mort de Mazarin a calmé les esprits. Le roi a pardonné aux frondeurs leur morgue, leur traîtrise, leur rébellion – du moins, le leur laisse-t-il croire. Humilié par les siens, il n’oubliera jamais et n’aura de cesse de les asservir. Le torcher à sa toilette deviendra un honneur. À vingt-six ans, lassé de Marie-Thérèse, sa petite femme sotte et joufflue, Louis vient de prendre pour maîtresse la douce et fragile Louise de La Vallière dont Mme de Motteville louera dans ses Mémoires l’éclat de la blancheur, l’incarnat de son teint, la candeur de ses yeux bleus, la beauté de ses cheveux argentés. À l’origine de cette liaison, une amourette entre Henriette, surnommée Minette, et son beau-frère, le roi. La fille de Charles I er d’Angleterre et de la reine Henriette de France a épousé, en 1661, Monsieur, le frère du roi. Pour dissimuler ses amours, elle a eu l’idée de se servir de Louise de La Vallière, une de ses demoiselles d’honneur, comme d’un paravent. Elle crut la Tourangelle trop simple, docile et maigre pour que le roi s’attachât à cette « fille ». Elle déchanta : Louise se révéla modeste, accommodante. Quand elle dansait, personne ne remarquait qu’elle claudiquait depuis qu’un âne l’avait renversée. Sa voix allait au cœur. Elle toucha celui du roi. Le 18 décembre 1663, Louise accoucha dans la douleur d’un garçon, prénommé Charles, déclaré « fils de M. de Lincour et de demoiselle de Beux » et vite arraché à sa mère. Le roi l’obligea à paraître à la messe de minuit. Elle était blême et chancelante. Personne ne fut dupe.
Au mois de mai
Weitere Kostenlose Bücher