La Revanche de Blanche
tu vas beaucoup t’amuser. » Un comédien, habillé en bouffon, le visage grimé de blanc, frappe les trois coups d’un brigadier.
— C’est Jodelet ! s’écrie Ninon. Mon Dieu qu’il a vieilli. Il a soixante-dix printemps : je crains que ce ne soit son dernier rôle.
Violons. La Grange et Du Croisy ont vingt ans. Perruqués, vêtus de soie jaune et vert, les couleurs préférées de Molière, ils rivalisent de dentelles et de rubans, un panache de plumes au chapeau. Jeux de jambes, miaulements, mimiques : Blanche est médusée. Les yeux écarquillés, elle est au carnaval.
Elle s’impatiente de découvrir les Précieuses. Les voilà. Dans une robe verte à volants, veste rouge de taffetas, fleurs dans les cheveux, Madeleine Béjart, belle plante altière dans le rôle de Magdelon, et Catherine de Brie, jolie brunette, dans celui de Cathos, se tortillent, se pâment, affichent des mines effarouchées. L’Espy, en Gorgibus, bourgeois pataud, entre en scène. Une douzaine de gilets sur le dos, il se moque de sa fille et de sa nièce, ces « pendardes » qui usent de blancs d’œuf, de lait virginal et du lard d’une douzaine de cochons pour se graisser le museau. Le public s’esclaffe. Madeleine Béjart s’égosille :
— Le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures.
Catherine clame avec affectation sa passion pour la Carte du Tendre . Les comédiennes prolongent les finales, roulent les R, accompagnent leurs paroles de hochements de tête, courbettes, pas de danse. Blanche n’en revient pas. Elle demande d’autres pâtes de fruits à Ninon. D’une voix chantante, détachant chaque syllabe, Magdelon martèle :
— Il faut qu’un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre, le passionné .
Dans l’assemblée, les cris d’indignation se mêlent aux bravos. Lorsque Cathos déclare : Je trouve le mariage une chose tout à fait choquante , Ninon se penche vers Blanche :
— Quel toupet ce Molière ! Il met en scène des pecques provinciales, pour mieux se moquer de nous. Ce sont des phrases de Sapho, mot pour mot.
Marie de Sévigné et Marie-Madeleine de La Fayette s’embrassent ; Chapelain et Ménage se tapent sur les cuisses. Lèvres pincées, Sapho reste imperturbable.
La figure plâtrée, une perruque qui balaye le sol, un chapeau minuscule, un rabat qui ressemble à un peignoir, des canons à profusion, un brandon de glands qui lui sort de sa poche, des souliers entrelacés de rubans : l’entrée de Molière suscite l’hilarité générale. Dans la peau de Mascarille, le valet de La Grange, il s’écrie en se dandinant :
— Holà, porteurs, Holà, là, là, là, là…
Deux valets tentent de faire passer une chaise.
— Dame ! c’est que la porte est étroite , ricane l’un d’eux en donnant des coups de pieds dans le siège à privé.
La salle se tient les côtes. Les comédiens improvisent, jouent la pantomime, jonglent avec les mots, s’enlacent, se soufflettent, se bastonnent. Blanche applaudit à tout rompre. Elle se lève, agite son mouchoir, lance des oh et des ah d’admiration. Droites sur leurs chaises de velours noir, les Précieuses rient jaune : leurs adverbes, leurs superlatifs, leurs métaphores sont ridiculisés sous leurs yeux. Au Voiturez-nous ici les commodités de la conversation , pour dire : « Apportez une chaise », Mme de Sablé se retire, Arthénice s’efforce de montrer bonne figure.
Sous les bravos interminables, les comédiens rivalisent de pitreries. On leur jette des pièces d’or, des fleurs, des plumes, des billets doux. Blanche court embrasser Molière.
— Merci, monsieur ! Vous m’avez tellement fait rire. Je ne me suis jamais sentie aussi bien, s’enflamme-t-elle en lui étreignant la taille.
— Vous me payez là de ma peine, mademoiselle, sourit Poquelin vite happé par une foule d’admirateurs.
Revenue près de Ninon, Blanche lui déclare, le feu aux joues :
— Je veux jouer avec eux. Être comédienne, voilà ce que je veux faire.
— Un beau métier, je te l’accorde, mais on y perd souvent son âme, la prévient la courtisane. Viens, je vais te présenter aux amies de ta maman.
Elle se dirige vers Arsinoé de La Tour qui trempe une lèvre molle dans un verre de vin de Champagne.
— Bonsoir ma chère. Voici Blanche de La Motte, la fille d’Émilie.
Blanche esquisse une timide révérence.
— Vous ressemblez à
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