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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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les farces plaisent plus au parterre que la tragédie. Les hommes aiment à rire de leurs défauts. Il m’a fait lire Les Précieuses ridicules qui seront données la semaine prochaine. Sa comédie va hérisser le poil de nos amies. M’accompagneras-tu à l’hôtel de Rambouillet ?
    — Tout dépend de l’état de Scarron, soupire Françoise. Et puis, je n’aime pas qu’on dénigre les femmes de lettres. Elles ont fait bouger les lignes, même si les filles d’aujourd’hui affichent une arrogance qui frise l’indécence. Chez César d’Albret, j’ai été suffoquée par l’assurance et le culot de la fille de Gabriel de Rochechouart de Mortemart. À dix-neuf ans, elle ne manque pas d’aplomb.
    — Elle a trouvé que son prénom, Françoise, faisait trop démodé : elle se fait appeler Athénaïs, un nom de Précieuse, c’est dire ! Sa tante est une amie d’enfance d’Anne d’Autriche. Elle a ses entrées à la Cour. Sais-tu la nouvelle ? Une des clauses du traité des Pyrénées oblige le roi à se fiancer à l’infante d’Espagne, Marie-Thérèse d’Autriche, sa cousine. Il va être obligé de renoncer à Marie Mancini.
    — Un crève-cœur : il l’adore. Sur ce, ma bonne, je vous abandonne. Le devoir m’appelle.
    Françoise embrasse sur les cheveux celle qui lui a fait découvrir des voluptés inconnues. La courtisane lui rend son baiser et fredonne une couperinade.
     
    Une semaine plus tard, le 18 novembre 1659, Ninon et Blanche se rendent à la représentation des Précieuses ridicules . La marraine se réjouit de présenter sa protégée au cercle de la Chambre bleue où Catherine de Rambouillet, appelée par ses intimes Arthénice, tente de rallumer les feux d’antan. Blanche écarte les rideaux de la chaise :
    — Quand est-ce qu’on arrive ?
    — Nous voilà rue Saint-Thomas-du-Louvre. L’hôtel de Rambouillet est le plus beau de Paris. La marquise l’a dessiné à la manière italienne. Son salon existe depuis les années vingt. Longtemps, j’en fus exclue. Depuis mon séjour chez les Madelonnettes, j’ai retrouvé grâce aux yeux d’Arthénice.
    — Pourquoi n’avais-tu pas le droit d’y aller ? s’étonne Blanche.
    — Parce que je fus une femme un peu trop libre à leur goût.
    — Je veux être comme toi !
    — On ne pardonne pas à une femme de trop aimer la vie, mon ange. On m’a jugée à tort et au débotté. J’ai décidé de répondre aux attaques par un livre, La Coquette vengée . Je t’en lirai des passages. Ce matin, j’ai écrit : « Nous devrions faire attention au montant de nos provisions, mais pas à celui de nos plaisirs : ceux-ci doivent être recueillis jour après jour. »
    — Moi aussi, je veux me faire plaisir. Tu m’aideras ?
    — Toujours.
     
    Dans les jardins au cordeau de l’hôtel, on se salue, on se complimente, on jase, on se jauge. Drapée dans une mante noire, Anne-Geneviève de Longueville sort d’une retraite au couvent des Carmes où la sœur du Grand Condé a expié ses liaisons avec Nemours et La Rochefoucauld. Le duc lui lance, ironique : « Bonsoir, Mère de l’Église. » Anne-Geneviève le toise. Madeleine de Sablé lui fait un signe de sa main gantée. En grand deuil, cette dévote termine, dans sa maison de Port-Royal, son Traité de l’amitié avec la complicité de La Rochefoucauld. La marquise de Guéméné, la comtesse de Maure et Arsinoé de La Tour suivent cette procession de bigotes entichées de jansénisme. Seule Mlle de Scudéry, dite Sapho, hisse ses couleurs : du rouge sang et du bleu roi. Blanche ne lâche pas la main de Ninon. Elle a froid, se sent perdue. Sa marraine l’entraîne vers un grand salon où les invités s’assoient en arc de cercle autour d’une estrade. M. Mathieu a décoré la scène de toiles peintes. Pour suggérer la salle basse de la maison de Gorgibus, il a disposé une chaise à porteurs, deux fauteuils, trois battes. Une poignée de nobliaux jouent à la bassette, au reversi. D’autres fument, prisent, s’interpellent. Des dames en mantille agitent leurs éventails, caquettent. Il est quatre heures de l’après-midi. Arthénice, sa fille, Julie de Montausier et des marquis poudrés prennent place sur la scène. Relents de sueur, de parfums musqués, de cire, de pisse tiède, de tabac froid. Blanche a mal au cœur. Ses yeux lui piquent. Elle s’ennuie. Ninon sort de sa bourse une pâte de fruits, la rassure : « Les farces ne durent jamais longtemps,

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