La Revanche de Blanche
endormie pour toujours le 6 juillet 1664 après avoir reçu les derniers sacrements et s’être confessée de fautes qu’elle n’a pas commises. Ses derniers mots furent pour toi : « Veille sur Blanche, mon amour. » Des larmes coulaient sur ses joues. Elle était si belle malgré sa maigreur et la fièvre due à l’horrible épidémie qui a décimé une grande partie des colons et des Indiens. Elle est partie en paix vers le paradis où l’ont accueillie ses chers parents, les anges et tous les saints. C’était une femme de cœur. Je l’aimais, je l’ai toujours aimée, malgré notre séparation. Elle repose maintenant dans le joli cimetière qui donne sur le Saint-Laurent. Ma petite fille, mon plus cher désir serait de revenir en France pour te serrer dans mes bras, mais je suis responsable d’un important commerce de fourrure et il me faut malheureusement rester encore plusieurs mois loin de toi.
Avant de disparaître, ta maman a tenu à me dicter ces mots à ton intention. Elle ne se savait pas encore perdue, mais elle pressentait que son mal aurait raison d’elle. Voici ce qu’elle tenait à te dire :
« Ma chérie, tu me manques. Je voudrais que tu saches combien j’ai été heureuse ici avec ton père. Son amour m’a portée et m’a aidée à surmonter la rudesse de ce pays. J’ai pu venir en aide aux ursulines qui tentent avec confiance d’élever et de convertir des petites sauvages. Mon amitié avec madame de La Peltrie m’a soutenue dans cette tâche difficile. Ton père fait mon admiration : il travaille sans relâche afin de te laisser une jolie dot pour que tu puisses vivre sans contrainte. Ninon n’a cessé de te louer, de me faire part de tes progrès, de ta volonté d’apprendre. Je suis fière de toi. L’étude rend libre. Tu devras te battre dans une société où les hommes font la loi, mais je suis sûre que tu seras plus avisée que moi pour être introduite dans le monde. Ce monde que j’ai aimé et qui s’est montré si ingrat. Rassure-toi, loin de moi la tentation d’éprouver de l’amertume ou des regrets. Je vis dans le présent. J’ai pardonné aux Précieuses les souffrances qu’elles m’ont fait endurer. Les années passées avec toi à Locronan m’ont comblée. Je garde de ma vie parisienne quelques enseignements que je souhaite te transmettre. Ils t’éviteront de commettre les mêmes maladresses que moi.
Tout d’abord, méfie-toi de celles qui se disent tes amies et t’utilisent comme faire-valoir. J’en ai fait l’expérience avec Charlotte de Bouillon. À mon arrivée chez ses parents, elle me prit sous son aile, comme sa mère, Arsinoé de La Tour. À la différence d’Arsinoé, elle cache une âme noire et jalouse. Elle n’a cessé de me tendre des pièges, de m’en vouloir d’être l’intime de sa mère. Elle détestait les salons, ne supportait pas que j’y sois reçue et appréciée. Elle se ligua avec la duchesse de Montbazon et son amant, le duc de Beaufort, afin de salir ma réputation, de m’évincer. Je n’entrerai pas dans les détails, mais j’ai subi des agressions qui m’ont marquée. Ils ont voulu me tuer à plusieurs reprises. Charlotte a été jusqu’à dénoncer mon mari, Georges de La Motte, qui fut emprisonné avec le cardinal de Retz, à la suite d’un complot qu’il avait fomenté contre Mazarin avec l’aide de la comtesse du Plessis-Guénégaud. Georges est mort au donjon de Vincennes. J’imagine que tu ne connais toujours pas Augustin et Benoît, tes demi-frères. Les enfants du premier mariage de mon mari se sont mal comportés et m’ont déshéritée. La responsable ? Charlotte, toujours elle. Sais-tu que j’avais tenu mon Journal ? Par une coupable inclination pour la gloire, j’ai transposé mon histoire à l’époque romaine. Silvia – c’est le titre de mon livre – est paru sous un autre nom que le mien. Les Précieuses l’ont lu et aimé, pour sa simplicité, sa vérité de ton. Hélas ! Charlotte y a reconnu des portraits de ces dames, en particulier de sa mère et, surtout, elle a découvert une révélation que j’aurais dû taire. Évidemment, je racontais ma vie amoureuse, ta naissance qui fut un immense bonheur et mon obligation de te cacher chez Irma. Mon mari ne souhaitait pas que ses enfants apprennent ton existence. Sa rigueur, son jansénisme le bridaient. Charlotte rapporta à ses fils qu’ils avaient pour sœur une bâtarde. Ils manigancèrent afin que je
Weitere Kostenlose Bücher