La Revanche de Blanche
les rires de Louis-César qui s’amuse avec un carrosse miniature tiré par des souris blanches, Blanche embrasse Françoise Scarron. La gouvernante est hors d’elle :
— Louise-Françoise a la fièvre : sa mère l’a emmenée se promener hier ; l’enfant a pris froid. Je me suis emportée. Madame de Montespan s’est mise en colère.
Athénaïs entre dans la pièce. Elle prend Louis-César par la main, le tire avec force :
— Madame Scarron, allez donner sa leçon d’histoire sainte à mon fils ; vous m’avez chauffé les sangs. Suis-moi, Blanche, il faut que je te parle.
Blanche plaint un instant Françoise d’être obligée de se plier, de subir les volte-face et les coups d’humeur d’Athénaïs. Dans sa chambre, la marquise explose :
— Au moment où Louise se retire, me voilà flanquée d’une dévote qui me fait la morale. Pour qui se prend-elle ? Sous ses airs de sainte-nitouche, elle tisse sa toile. C’est une araignée qui va manger le roi tout cru – sous notre nez à tous. Le mieux serait de la marier au duc de Villars-Brancas, un vieux, veuf et bossu. Il lui rappellera son Scarron défunt !
— Françoise est une vieille amie de Ninon. Elle veut ton bien, celui de tes enfants, plaide Blanche.
— Dis-moi, ma petite, pourquoi ne te marierais-tu pas ? Je peux te trouver un gentilhomme fortuné. Serais-tu à nouveau amoureuse ?
— Je te remercie, Athénaïs, je ne veux pas me marier.
— Tu as tort. À moins que, comme Ninon, tu préfères avoir des payeurs qui te fournissent le gîte et le couvert.
Blanche pâlit. Athénaïs n’a jamais fait d’allusion à son hôtel. Que sait-elle ?
— Je préfère être entretenue et rester libre plutôt que de vivre sous le joug d’un vieux mari, rétorque-t-elle, mutine.
Dans le monde clos des dames de la Cour, sournoiseries et vacheries se suivent et se ressemblent. Françoise refuse la proposition de mariage de la Montespan. Athénaïs boude. Aglaé fraie son chemin, d’autant plus dédaigneuse que Blanche joue les indifférentes.
Le départ de Louise calme un temps le jeu. Fin mars, La Vallière commande à Mignard un portrait de son fils. Elle remet ses bijoux au roi pour qu’il les partage entre ses enfants, lui fait ses adieux, se prosterne devant la reine, se repent pour ses crimes. Elle est prête. Dans quelques jours, elle franchira le haut portail qui mène au cloître et coupera ses cheveux. Elle a trente ans.
À la fin du Carême, accompagné d’Athénaïs, de la reine, de la Grande Mademoiselle et d’Aglaé, le roi part rejoindre son armée dans les Pays-Bas espagnols, en Hollande, puis en Alsace et en Franche-Comté.
Pour Blanche, il est l’heure de retrouver Marquise et le théâtre.
« Tu es un écureuil, tu sautes de branche en branche, tu t’échappes, toujours plus loin, toujours plus haut », lui disait Charles. Soulagée de s’éloigner de la puanteur et de la faune du Château-Vieux, Blanche est tentée d’abandonner sa charge à la Cour. Elle hésite : ne faut-il pas accepter quelques arrangements pour faire carrière et élever Marquise ? Ma place dans la troupe de l’hôtel de Bourgogne dépend d’Athénaïs. Déplaire à la toute-puissante maîtresse du roi, c’est risquer de ne plus pouvoir jouer. Ma liberté a un prix. Suis-je vraiment une femme libre ? Mes passions m’emprisonnent. Pourquoi ai-je aimé Charles sans espoir de vivre avec lui ? Pour lui, j’ai accepté l’attente, le risque, la clandestinité. Il est mort il y a deux ans. Ce qui me faisait tant vibrer ressemble à ces champs embrumés. Le temps est un pinceau qui efface tout. Devrais-je suivre les conseils de Louise et faire mon examen de conscience ? J’irai à confesse, mais je ne renoncerai pas à l’amour. Jamais. J’aurais peur de me dessécher, comme ces vieilles femmes courbées sous le poids de lourds fagots de bois.
Perchée sur un tabouret, Marquise s’applique à dessiner des majuscules. Elle lève sa plume, court vers sa mère :
— Maman, vous êtes partie trop longtemps. Je m’ennuie sans vous. La prochaine fois, emmenez-moi à la Cour.
— Ma chérie, tu sais que ce n’est pas possible. Tu es mieux ici, avec Dahuh.
— Votre fille sait lire et écrire. Si vous me le permettez, madame, elle aurait besoin d’une amie, suggère Dahuh. Elle a quatre ans.
Blanche se tait. Elle sait qu’elle ne pourra plus longtemps cacher Marquise. Comment la présenter ?
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