La Revanche de Blanche
tend à sa filleule un verre d’orgeat :
— Ma Blanche, je t’aime de tout mon cœur. La Cour t’a admirée. Tu es devenue une grande. Sois prudente. Des ragots circulent sur toi, sur ta fille.
— Qui a vendu la mèche ? Pas toi, j’espère ?
— Tu peux me faire confiance.
— J’espère qu’Antoine n’a pas parlé.
— Ce n’est pas son genre. Mon fils a la tête ailleurs ces temps-ci. Ce qui lui arrive ne va pas te faire plaisir.
— Marie attend un enfant de lui ?
— Il se fiance…
Le menton de Blanche tremble :
— Avec qui ? Un beau parti, une dot, un grand nom ?
— Tu y es. Afin de le remercier de ses services, le roi lui a offert des terres en Normandie en échange d’un mariage avec… Aglaé. Comme tu l’imagines, je m’y suis opposée. La décision ne m’appartient pas. Villarceaux est un proche de Sa Majesté : il ne peut refuser.
— Je la tuerai ! hurle Blanche en état de choc. Ce n’est pas possible. Pas Antoine ! Il est fou. Qu’est-ce qu’il lui a pris ? Il ne va tout de même pas épouser ma pire ennemie…
— Calme-toi, Blanche. Il s’agit d’un arrangement. Ça lui mettra un peu de plomb dans la cervelle.
— Un arrangement ? La belle affaire ! Il ne peut pas me faire ça, à moi ! sanglote Blanche. Depuis qu’il est revenu, l’affection que j’éprouvais pour lui s’est muée en un amour sincère. Quand j’ai su qu’il courtisait la Champmeslé, j’ai voulu lui parler, je n’ai pas pu, je n’ai pas su.
— Tu m’avais caché que tu étais amoureuse de lui, s’attendrit Ninon étonnée par l’explosion inattendue de sa filleule. Pense à toi, occupe-toi de Marquise, tu l’oublieras vite.
— Qui a organisé cette union contre nature ? Je veux savoir. Je veux la vérité.
— Antoine a rencontré Aglaé à l’hôtel d’Albret. Ne vois là aucune malice. Elle n’est pas celle que tu crois.
— Je ne resterai pas plus longtemps ici. Adieu, marraine.
Prostrée sur son lit, elle se répète : maudite, je suis maudite. Est-ce parce que mon père m’a abandonnée que les hommes de ma vie m’abandonnent ? Après la mort de Charles, Antoine épouse celle par qui mes malheurs sont arrivés. La mère Bouillon s’est acharnée sur la mienne. Sa fille me ravit ce que j’ai de plus cher au monde. Comment Antoine a-t-il pu accepter cet horrible marché ? Il faut que je l’éclaire, qu’il sache qui est Aglaé. Que je le libère de cette harpie.
Après une nuit blanche passée à écrire, Blanche se débarbouille. Blase l’observe du coin de l’œil :
— Vous êtes pâlichonne, Mademoiselle. Vous devriez partir quelques jours à la campagne.
— Porte immédiatement cette lettre au chevalier.
Avant de la cacheter, elle la relit.
27 août 1674
Mon cher Antoine,
Ninon vient de m’apprendre tes projets de mariage. Je ne te félicite pas. Cette nouvelle me terrasse. À ton retour des Amériques, lors de ce concert chez ta mère, nos regards se sont croisés. J’ai cru lire dans tes yeux un sentiment nouveau, non pas cette tendresse qui nous unit depuis toujours, mais l’amour. Un amour pur et ancien qui a mûri au fil des ans, un amour dont je me suis longtemps défendue par aveuglement, peut-être par orgueil. J’ai attendu, j’ai cru que ta distance, tes amusements avec la Champmeslé n’étaient que ruse et peur de m’avouer la vérité. Sois sans crainte, je t’aime, je te désire et rien ne brisera ce qui nous lie. Rien ni personne. Sûrement pas Aglaé. Puisque tu sembles t’engager contraint et forcé vers une union des plus précipitée, je me dois de te mettre en garde. Mademoiselle de Bouillon n’est pas quelqu’un de recommandable. Tu connais mon histoire et celle de ma mère. Tu sais combien Charlotte a fait souffrir ma pauvre maman. Sa fille est plus dangereuse qu’elle. Sous sa belle rousseur, se cache une âme damnée. Dès mon entrée à la Cour, j’ai découvert qu’elle complotait. Jalouse de Louise de La Vallière, elle a voulu l’empoisonner. Très vite, sa méchanceté s’est portée vers moi. Je la soupçonne d’avoir soudoyé un faux homme de loi afin que je perde ma place dans la troupe de Molière. Je suis sûre que c’est elle qui a fait rédiger un article non signé qui me fit beaucoup de tort ; elle qui a commandité mon agression dans une impasse. Il y a plus : la Bouillon a rédigé une lettre anonyme destinée à la reine dans laquelle elle me maudissait.
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