La Revanche de Blanche
l’envie de la moucher lui prend, elle s’arme de patience : elle est ici pour sa fille, pour le roi. Depuis son arrivée, elle n’a pas réussi à s’entretenir, même cinq minutes, avec Louis. Elle n’est pas la seule à attendre une entrevue. Françoise Scarron a l’intention de se plaindre des rebuffades de la Montespan. Elle a beau lui répéter qu’il ne faut pas faire veiller les enfants ni les gaver de sucreries, la marquise n’en a que faire.
Un soir de février, Blanche s’aventure dans les dédales du château et surprend Aglaé sortant par une porte dérobée. La Bouillon sursaute, s’emporte :
— Traîtresse, tu devrais avoir honte d’avoir monté Molière contre ma famille. Tu n’es qu’une maraude à la botte d’Athénaïs. Un jour, je ne me gênerai pas pour dire ce que je sais sur toi.
— Moi aussi, j’ai beaucoup à t’apprendre ! Grosse cochonne !
Aglaé file doux, Blanche regagne sa chambre. La menace de la Bouillon la poursuit. Cette nuit-là, des hordes de chats sauvages rampent vers sa couche, griffent ses joues, s’agrippent à ses cheveux. Elle se réveille en nage, dans la hantise que la Bouillon la dénonce, qu’elle finisse décapitée pour avoir participé à des messes noires. Antoine la protégera-t-il ? Elle l’imagine dans les bras de la Champmeslé. Cette gourgandine aurait-elle des talents cachés, une sensualité attachante ? Qu’ils aillent au diable !
Un homme à loup d’or, lors d’un bal masqué, se faufile parmi la foule, fait signe à Blanche de le suivre. Près d’un pilier, il se démasque. Le roi, c’est lui ! Elle n’osait y croire. Il l’entraîne dans un salon de musique où dorment des violons, lui enlève son masque de velours rouge à plumes :
— Ne craignez rien. Ici, nous ne serons pas importunés. Depuis que vous êtes revenue, je n’ai qu’un désir : me trouver seul avec vous.
— Comment m’avez-vous reconnue, Majesté ?
— À vos gestes gracieux. Votre parfum. Êtes-vous heureuse ? Vous êtes bien sombre, parfois.
— Grâce à vous, je suis comblée. Marquise s’épanouit. Elle s’avère assez douée pour le dessin.
— Nous aimerions tant vous rendre la vie plus douce, s’attendrit Louis.
— Mon plus cher désir serait que votre fille soit légitimée.
— Pour l’heure, je me suis occupé des enfants de madame de Montespan ; je vous promets de songer à votre requête.
— Athénaïs le mérite.
— Elle a tant d’esprit, de si beaux yeux bleus ; je me sens coupable de ne pas la satisfaire. Je lui ai offert des colliers de perles, des diamants, des pendants d’oreilles de rubis ; je crains toujours qu’elle refuse mes présents. À votre tour, ne me refusez pas ce cadeau.
Il sort de sa poche un bracelet couvert de pierreries qu’il glisse au poignet de Blanche. Elle ne sait comment le remercier. Sa bouche. Ses lèvres. Son cou. Ses reins.
— Vous me redonnez courage, s’exalte Louis. Louise me soucie tant. Si vous pouviez lui parler. Elle ne sort plus de chez elle. Elle n’a pas desserré les mâchoires lorsque sa fille, Marie-Anne, âgée de sept ans, a fait ses débuts à la Cour en janvier.
— Bien sûr, Majesté !
Tant que le roi me désire, je serai en sécurité, se dit Blanche en remettant son masque.
Le lendemain, Louise de La Vallière est en prière devant son oratoire :
— Je veux quitter ce monde pour toujours et faire retraite au couvent des carmélites afin d’y expier mes fautes.
— Avez-vous pensé à vos enfants ? s’attriste Blanche.
— Mes enfants ne m’appartiennent pas. Ils sont au roi. Madame Colbert s’occupe d’eux. Le roi ne m’aime plus ; ma mère m’a oubliée.
— Vous êtes jeune. Pourquoi ne prendriez-vous pas une chambre ouverte chez des religieuses, comme madame de Longueville qui se repent à Port-Royal ?
— Ce ne serait pas une pénitence assez lourde. Je porte le cilice et dors à la dure. Je fais don de ma personne pour sauver les âmes perdues. Chère Blanche, je prierai pour vous. Libérez-vous du Démon et de ses tentations. Vous êtes une belle personne, mais vous êtes la proie des ombres et du Malin. Il vous faudra faire votre examen de conscience, vous détourner des mauvaises influences du corps.
Touchée par la bonté et la beauté qui émanent de ce visage pur, Blanche sait que Louise n’a pas tort. Un relent de culpabilité rampe en elle. Elle récite un Ave.
Réveillée par
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