La Revanche de Blanche
volontés. Plus femme que mère, Blanche se souvient d’Antoine le soir où Ninon jouait de la flûte. Sensuel, les lèvres entrouvertes, les bras ballants, il était plein de désir.
De retour à Paris, elle s’impatiente de revoir ses amies. La Cour est rentrée de Hollande. Françoise Scarron ne tarde pas à rendre visite à sa chère Ninon. Accoudée à la fenêtre, elle parle bas, comme si elle détenait des secrets d’État. À mi-voix, elle laisse entendre que les enfants d’Athénaïs seront légitimés. Afin de contourner la loi, l’acte ne nommera pas leur mère. Le roi a ordonné à leur gouvernante de s’installer à Saint-Germain.
Si ces bâtards sont reconnus, Marquise a peut-être une chance de l’être à son tour, se dit Blanche qui se promet d’en toucher un mot au roi.
Assise à son secrétaire, elle se sent seule. Jusqu’à présent, elle ne s’est pas permis de recevoir : elle craint toujours que le roi le lui reproche, que les langues se délient. La marquise de Sévigné aurait lancé à Mme de La Fayette et à La Rochefoucauld : « On ne compte plus les femmes du monde, comme madame de Soubise, ni les femmes de chambre qui couvent un rejeton royal. »
Il pleut sur la place Royale. Les marchands ont fermé leurs échoppes. Blanche lit à Marquise deux fables de La Fontaine, publiées l’année dernière : Le Soleil et les Grenouilles, Le Curé et le Mort. À cinq heures de l’après-midi, en robe de soie verte assortie à ses yeux, elle file chez Ninon qui a rouvert son salon. Autour de son lit, Marie de Sévigné, Marie-Madeleine de La Fayette et La Rochefoucauld discutent du prochain livre de Nicolas Boileau. La Rochefoucauld baise la main de Blanche :
— Chère mademoiselle, vous rayonnez. Je suis heureux que vous ayez surmonté votre chagrin. Il y a dans le cœur humain une sorte de génération perpétuelle de passions en sorte que la ruine de l’une est presque toujours l’établissement d’une autre.
Étonnée par cette maxime qu’elle juge déplacée, Blanche en déduit que le duc s’est consolé de la mort de son fils dans les bras de la brillante Mme de La Fayette. Elle s’apprête à embrasser Ninon lorsque Antoine fait son entrée. Constellé de décorations, l’officier a fière allure. Marie de Sévigné lève vers lui des yeux gourmands. Marie-Madeleine de La Fayette rosit :
— Vous êtes beau comme un prince, monsieur, et couvert de gloire…
Antoine jette un regard malicieux à Blanche. Un cercle se forme autour de lui. Il décrit les combats, les embuscades, dénonce la brutalité des Hollandais, s’émeut sur les milliers de morts que l’armée a laissés derrière elle. Blanche se tait. Son silence parle pour elle. Après le départ des invités, il lui propose de la raccompagner. La pluie a cessé. Le terre-plein est une vaste bassine. Antoine prend son bras, l’aide à contourner les flaques d’eau. Il semble pressé. Blanche lui parle de Mithridate , de Marquise. Devant son hôtel, il l’attire contre le porche. Elle se dégage. Il la retient par l’épaule :
— Laisse-moi monter chez toi, Blanche. Tu n’es pas faite pour le malheur.
— Je ne suis pas malheureuse.
— Peut-être es-tu plus seule que tu ne le crois ? devine Antoine. Tu veux briller. Tu t’étourdis au théâtre comme à la Cour. Méfie-toi : les courtisans ne te feront pas de cadeaux, encore moins le roi.
— De quoi te mêles-tu ?
— Je te protégerai toujours, bourrique !
Antoine plaque sa bouche sur ses lèvres closes.
— Non, Antoine, non, je ne peux pas, je ne veux pas, s’écrie-t-elle en s’échappant vers l’entrée de l’hôtel.
— Retourne dans les jupes d’Athénaïs. Salue le roi de ma part. Et pense à moi quand il te tiendra par les hanches, petite ambitieuse aveuglée par la lumière !
Les bottes dans la gadoue, Antoine disparaît sous le pavillon Henri-IV. Blanche grimpe les marches du grand escalier. Elle ronchonne : je ne suis pas le papillon qu’il croit. Pour qui se prend-il ? Quelques instants plus tard, elle se met à regretter d’avoir perdu l’amitié de cet homme au caractère trempé. L’attrait de la Cour.
L’automne entre en scène. Place Royale, des marchands font griller des châtaignes, vendent des pommes au sucre. Blanche a reçu un poulet d’Athénaïs qui l’attend à Saint-Germain. Elle prévient Ninon, lui demande de veiller sur Marquise, ne peut s’empêcher de lui
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