La Revanche de Blanche
poser la question qui lui brûle les lèvres :
— As-tu revu Antoine ?
— Il est très occupé ces temps-ci. Et toi ? As-tu des projets ?
— Racine prévoit de monter sa prochaine pièce en juillet. En attendant, je reprends mon rôle de dame de compagnie.
La marquise de Sévigné se fait annoncer. Elle frétille. Ses yeux bleus bigarrés s’éclairent :
— J’en ai appris de belles. Figurez-vous que mon fils s’encanaille avec ton Antoine. Ils se partagent la Champmeslé qui ne se suffirait pas de Racine. Une dévoreuse d’hommes, celle-là !
Blanche n’en croit pas ses oreilles.
— J’aurais préféré d’autres fréquentations pour mon fils. À mon avis, il a dû faire un pari. Ah ! Ces actrices ! s’exclame Ninon sans remarquer la mine de Blanche.
Après trois verres de vin de Champagne, Blanche fait une révérence maladroite à la marquise et quitte l’hôtel de Sagone. Bouillonnante, échevelée, elle s’aventure vers les quais, franchit le Pont-Neuf où des crieurs brandissent des feuilles de choux. À l’angle de la rue Maître-Albert, elle entre dans une taverne, commande un verre de prune, puis deux. Attablés devant des chopes de bière, Antoine, Charles et leurs compagnons chantent à tue-tête. Blanche titube, lève son verre :
— À la santé des comédiennes !
Antoine se dirige vers elle :
— Que fais-tu ici, ma mignonne ? Assieds-toi, tu n’as pas l’air bien.
Blanche s’effondre sur un tabouret, les bras ballants.
— Mais tu as bu, pardi ! rit Antoine.
— Et alors ! Tu me donnes soif. Hic ! Hic ! Je ne suis pas la catin du roi, je suis une fille bien, moi !
Elle se lève, tourbillonne, se raccroche au bras d’Antoine.
— Je te ramène chez toi, ordonne-t-il en l’entraînant vers la sortie sous les yeux amusés de ses amis.
Il la fait grimper sur son cheval, Bucéphale, la tient par la taille. La tête de Blanche bascule sur son épaule. Place Royale, Blase l’aide à la porter sur son lit.
Elle se réveille, pâteuse. Honteuse de s’être laissée aller, elle tente de se souvenir de l’épisode de la veille : en vain.
— Monsieur Antoine, voilà un homme qui vous aime et vous respecte, déclare Blase d’un air entendu.
Blanche lui ordonne de faire ses malles pour Saint-Germain.
Autant s’étourdir à la Cour.
24
À peine arrivée au Château-Vieux, Blanche se précipite vers les appartements d’Athénaïs. Les odeurs des garde-robes et des privés lui donnent la nausée. Tout est sale, pue. Dans le salon, le long des rocailles dressées au centre de la pièce, des jets d’eau tombent en cascades dans des bassins. Des automates, oiseaux de bois doré, lézards, crapauds, renards et autres animaux empaillés surgissent de la roche à heures fixes, comme des coucous suisses. Aux murs, des jeux de miroirs renvoient leurs images. Sous la surveillance de Françoise Scarron, Louis-Auguste, Louis-César et Louise-Françoise attendent qu’une panthère miniature marque cinq heures de l’après-midi.
En robe de brocart, les cheveux montés en choucroute armée, Athénaïs accueille Blanche avec des cris de joie. Malgré ses jambes mal formées, le petit duc du Maine poursuit les chèvres que sa mère élève. Des serviteurs maures couverts de bijoux nourrissent des agneaux. Dans des cages d’or, des souris blanches tournent en rond. Louis-Auguste, une épaule s’agitant plus que l’autre, tente d’accrocher un ruban au cou d’un cochon. Athénaïs invite Blanche à passer dans son alcôve. Porte close, elle explose :
— J’ai fait le ménage : j’ai demandé au roi de renvoyer les hirondelles qui grappillent autour de lui comme des furies. Je ferme les yeux sur les servantes. Louis a tant d’appétence ! La seule dont il n’a pas voulu se séparer est Aglaé. Elle te déteste, tu sais…
— Je m’en moque.
— Nous verrons comment nous en débarrasser. Je veux que le roi n’ait qu’un désir : moi et moi seule, pour mourir de plaisir !
La Montespan avale une lotion pour se libérer les entrailles. Revenues dans le salon-grotte, les amies y retrouvent Françoise Scarron et les enfants.
— Mettez donc un peu de bois dans le feu, madame Scarron, ordonne Athénaïs. On gèle ici.
En ce début 1674, après un séjour à Paris pour les fêtes, Blanche commence à se lasser d’Athénaïs. Tout tourne autour d’elle. Il faut l’écouter, l’écouter encore, ne jamais la contrarier. Lorsque
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