La Revanche de Blanche
de perles, Marie s’avance à pas lents. Elle dessine un cercle d’une main en signe de bénédiction générale. Racine lui baise les mains, la conduit vers la scène, déclare aux comédiens :
— Iphigénie est l’enjeu d’un conflit entre son père et son fiancé dont l’issue la désespère. Admirable et pitoyable, elle devra renoncer à l’amour de sa vie. Ambition d’Agamemnon, orgueil de Clytemnestre, jalousie d’Ériphile : ma pièce donne à voir des passions déchaînées qui font d’Iphigénie la victime de ces jeux avec la mort.
Blanche se sent des ailes : Clytemnestre va lui permettre d’exprimer sa rage, sa rancœur et cette sourde violence qu’elle domine à la Cour ou à la ville. Elle ne tient plus en place. Il n’y en a que pour Marie. La répétition s’achève. Clytemnestre n’apparaît qu’à l’acte II : Racine ne l’a pas invitée à jouer. La Champmeslé descend de l’estrade :
— Ai-je été émouvante ? Ma voix a-t-elle porté ?
— Vous êtes sublime, la flatte Racine devant son mari qui tire sur une longue pipe d’écume, les yeux clos.
À la sortie du théâtre, Blanche retient Marie :
— Tu es toujours avec Charles et Antoine ?
— Je grappille. Je prends ce qu’il y a de bon chez chacun.
Pauvre Racine, s’il savait !
D’un soir à l’autre, Iphigénie prend racine. Les acteurs ne plaisantent pas. Blanche et Baron détendent l’atmosphère, se taquinent. Dans la peau de Clytemnestre, Blanche se mue en une furie vengeresse sous les yeux sidérés de la Champmeslé. Après une répétition, Marie grimpe dans son carrosse, toute frétillante. Elle est invitée à l’hôtel d’Albret, Charles de Sévigné l’attend, Antoine aussi. Blanche bout. Elle convainc Michel Baron de l’accompagner chez Mme du Plessis-Guénégaud, d’y jouer son soupirant.
Le comte et la comtesse reçoivent dans leur jardin où des serviteurs noirs déguisés en fleurs servent des rafraîchissements. Sous un sapin, Marie, Charles et Antoine font bande à part. Bras dessus, bras dessous, Blanche et Baron passent comme des amoureux devant le trio. Excédé, Antoine abandonne ses amis, s’approche de Blanche. L’air le plus naturel, elle lui présente Baron. Antoine lisse sa moustache :
— On fricote avec un comédien, maintenant ?
— Je fais ce qui me plaît, réplique Blanche.
Elle pose sa tête sur l’épaule de Baron, jubile. La ruse a marché. Antoine est jaloux. Près d’un bosquet, attifée d’une robe rouge, Aglaé s’évente. La marquise de Sévigné, Marie-Madeleine de La Fayette et La Rochefoucault se délectent de sorbets et de fruits. Trois petits tours et puis s’en vont, les deux larrons décampent pour finir la soirée Au Pied de Cochon.
Il fait si chaud ce 18 août 1674 que les attelages peinent à tirer les calèches de la troupe de Racine vers Versailles. Dans l’Orangerie, un théâtre a été dressé. Les décorateurs s’empressent de dérouler une toile de fond sur laquelle a été peinte une longue allée de verdure qui serpente jusqu’à une mystérieuse porte rehaussée d’un portique de marbre. Sur les côtés de la scène, des orangers et des grenadiers se mêlent à des vases de porcelaine pleins de fleurs. Des candélabres éclairent l’ensemble d’une lumière cristalline.
Les courtisans trépignent. Violons : le roi est là. Trois coups. Un silence. Marie apparaît. Plus belle que jamais, bouleversante. Ces messieurs se dérident, ces dames soupirent d’aise, pleurent, reniflent, se mouchent. Blanche s’enivre de son jeu. Sa colère monte, sa voix se fait puissante : elle jouit d’incarner la terrible, la monstrueuse Clytemnestre. Aux derniers vers, un frisson parcourt l’assemblée. Le roi essuie une larme. Les rappels n’en finissent pas. Blanche prend les mains de Marie. Au diable la rancune !
Sur le Grand Canal, une gondole de Venise vogue le long de poissons géants, de pyramides et de mille bougies. À côté du roi, majestueuse et… royale, la Montespan exhibe son ventre arrondi par une nouvelle grossesse.
Blanche fond en larmes. Trop d’émotions.
25
Un vent chaud souffle sur la place Royale faisant voler le sable du terre-plein. La main de Marquise dans la sienne, Blanche se protège de la lumière d’août sous une ombrelle brûlée. Ninon les accueille en déshabillé de soie. Marquise se frotte les yeux, puis disparaît vers l’ancienne chambre de Blanche. La marraine
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