La Revanche de Blanche
boit un verre de crème tournée, hoquette, crache :
— Je suis à nouveau grosse. À quoi bon garder ce marmot ! Louis me néglige, je n’arrive plus à lutter contre ces jeunesses qui polluent Versailles.
La marquise vomit sur le parquet, s’effondre sur un oreiller, grommelle :
— J’ai commandé d’autres pâtes d’amour. Claude des Œillets me les apporte demain.
Une odeur de pourri prend Blanche à la gorge. L’envie de dénoncer la Des Œillets la démange. Celle de protéger son amie l’emporte. Elle passe un linge humide sur le front d’Athénaïs :
— Vos enfants vous unissent. Louis est attaché à eux, à toi aussi. Ne te décourage pas, je suis là.
En juillet-août, Blanche vaque de Versailles à Fontaine-de-Mars où elle a installé Marquise et Dahuh. Ninon a reçu une lettre d’Antoine. Son navire vogue vers les côtes africaines pour ramener au roi des éléphants et de solides esclaves. À l’écart des intrigues et de l’étiquette, Blanche goûte aux joies de cuisiner, de coudre, de s’occuper de sa fille. Début septembre 1677, Guillaume lui rend visite. Le frère et la sœur partent se promener en forêt. Sangliers et biches y foisonnent. Le long d’un chemin sablonneux, Guillaume marche d’un pas lent. Pensif, il s’arrête dans une clairière :
— Nous sommes en train de mettre la main sur un énorme réseau de malfaiteurs, une vraie pieuvre.
— Avez-vous procédé à des arrestations ?
— François Desgrez, lieutenant du chevalier du Guet, vient d’arrêter Louis de Vanens, un alchimiste réputé qui faisait commerce de poisons et de fausse monnaie avec sa complice et maîtresse, Louise Leclerc, dite la Finette. Un bon coup de filet ! Et toi, petite sœur, as-tu pu recueillir des informations sur la mort d’Aglaé ?
Blanche s’assied sur un tronc d’arbre, joue avec une pomme de pin, prend l’air évasif :
— Je n’ai rien de bien croustillant à t’apprendre.
— Nous craignons que le roi soit empoisonné. Nous sommes sur le qui-vive. Essaie de tendre l’oreille. Interroge des domestiques. Soudoie-les, s’il le faut.
— Je te promets d’ouvrir l’œil, dès que je retournerai à la Cour.
La Seine a gelé. Blanche se calfeutre chez elle, pour le plus grand bonheur de Marquise. Préoccupée par la menace qui pèse sur le roi, elle suit ses pérégrinations dans les Flandres. Marie-Thérèse et Athénaïs, enceinte de cinq mois, l’accompagnent. Loin de la Cour, il est moins en danger, se rassure-t-elle. En attendant leur retour, elle organise des soupers, reçoit Baron, La Grange, La Thorillière. Ils ont repris Le Malade imaginaire, lui ont proposé de se joindre à eux. Elle a décliné l’offre. À sept ans, Marquise l’accompagne partout. Elle voudra venir au théâtre. On jasera : Louis se fâchera, l’exilera. Début mai, elle reçoit une lettre d’Athénaïs :
Ma chère ,
Je suis à bout. J’ai atrocement souffert de la fièvre, mais ce qui me rend folle, ce sont les lettres de mes enfants que la Maintenon fait parvenir tous les jours à Louis. Elle les manipule pour l’attendrir. Quelle sournoise ! Elle en profite pour se mettre en avant, pour lui montrer combien MES enfants l’aiment et l’admirent, combien son amitié leur est précieuse. Hier, Louis m’a parlé de sa sagesse, sa finesse, sa patience ! Je n’en peux plus. Il me reproche mes caprices, mes parfums, mon fard… Quant à la reine, elle a dit à propos de moi à madame de Motteville : « Cette poule me fera mourir. » Aux Pâques, le roi a voulu se confesser, mais le père La Chaise s’est dérobé. Louis en fut outré. Seule consolation : la prise de Gand et d’Ypres qui ont abouti à un traité de paix.
Adieu ma belle ,
Athénaïs .
Que d’efforts, que d’humiliations pour rester près du soleil ! se dit Blanche soulagée d’avoir renoncé à rivaliser avec Athénaïs. Avec les beaux jours, elle déambule dans le quartier du faubourg Saint-Antoine où les nouveaux carrosses à cinq sous permettent aux Parisiens qui ne possèdent pas de voiture personnelle de circuler. Elle y découvre l’atelier d’un jeune ébéniste de génie, André-Charles Boulle, qui travaille pour le mobilier royal. En ce printemps 1678, tout le Marais suit au jour le jour la fin d’une liaison : séparée de son mari, Mme de la Sablière tente, en vain, de faire durer sa passion pour La Fare, l’ancien amant de Ninon. Chacun y va de
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