La Revanche de Blanche
déguste un bol de chocolat, soupire :
— J’ai beau monter à cheval, sauter, danser, rien à faire.
— Vous serez bientôt délivrée, ma chère. Un peu de patience, ronronne la Palatine de son accent allemand guttural.
Une grande tige illuminée monologue le long des miroirs :
— Ah ! Zevu matame te Grignan, ze lui ai dit l’étranse sose t’être zestée toute nue dan la mer, zozote la créature.
Blanche pouffe de rire. La Montespan fait la moue. Elles se sourient, complices. Un bon début, se dit Blanche qui attrape un macaron rose. Le visage de la marquise s’est creusé ; des petits cheveux blancs auréolent son front. La main sur son énorme ventre, elle lâche, comme un caillou dans un bassin :
— J’espère que Phèdre t’a calmée, que tu es dans de meilleures dispositions.
— J’ai tout donné à Racine ; il a tout perdu.
— Racine n’aurait pas dû renoncer au théâtre ; il est trop susceptible. As-tu remarqué cette génisse fascinée par son image ? Marie-Isabelle de Ludres, surnommée Io, est la nouvelle lubie du roi. Je ne vais pas m’éterniser ici. Je pars demain accoucher à Maintenon.
— Puis-je t’accompagner ?
— À condition que tu cesses ton petit manège avec Louis et que tu t’occupes de moi.
Dans la voiture qui les conduit à Maintenon, blotties l’une contre l’autre, les amies retrouvent leur connivence habituelle. Blanche se lance :
— J’imagine que tu n’as pas pleuré à la mort d’Aglaé.
— Elle a beaucoup souffert, la pauvre !
— Il paraît qu’elle a été empoisonnée, insiste Blanche.
— Aujourd’hui, on soupçonne tout le monde. Nous qui avons tant voulu qu’elle disparaisse, elle commence à nous manquer.
Blanche se penche à la portière, rit sous cape, déguste des pâtes de fruits. Après quatre heures de route, le carrosse aborde les bois touffus de Rambouillet. Une tour carrée, un parc dessiné par Le Nôtre, un canal où l’eau claire coule sous un aqueduc conçu par Vauban : le château de Maintenon est une gâterie. Françoise fait servir à ses invitées un repas campagnard. Un concert est donné. Épuisée, Athénaïs se traîne jusqu’à sa chambre. Blanche la rejoint. La Montespan explose :
— Quel luxe ! Mes enfants lui ont bien rapporté à cette vieille guenon !
— Elle a passé l’âge de la bagatelle. Elle doit être sèche comme un torchon, s’esclaffe Blanche.
Les journées s’écoulent, tranquilles comme l’eau du canal. Un matin, Athénaïs reçoit un poulet de la Palatine. Sous un saule terriblement pleureur, elle le lit à Françoise et Blanche.
3 mai 1677
Chère amie,
Vous ne devinerez pas les nouvelles frasques de madame de Ludres. Elle nous a fait croire qu’elle était enceinte : elle espérait nous impressionner, que nenni ! Elle vient de tomber dans son propre piège. Je ne sais quelle mouche l’a piquée. Elle a chargé son intendant de livrer un billet au roi. Louis était sur un champ de bataille. Il a piqué une colère noire – ce n’est pas dans ses habitudes –, et lui a répondu par une lettre de rupture. À son retour, tout le monde tourna le dos à la délaissée dont le tort fut d’avoir voulu se porter trop haut héritière. Elle ne fit que raviver l’amour du roi pour vous, incomparable Athénaïs.
Je vous embrasse ,
Princesse Palatine .
— Que cela serve de leçon à toutes celles qui voudront prendre ma place, pontifie Athénaïs.
Se sentant visées, Françoise et Blanche se regardent, liguées un instant.
Dans la nuit, Athénaïs met au monde Françoise-Marie de Bourbon, confiée aussitôt à Mme de Jussac, la marquise de Maintenon dédaignant maintenant la tâche de gouvernante.
Deux semaines après l’accouchement, les trois femmes regagnent Versailles. Plus capricieuse que jamais, Athénaïs reprend possession de son territoire et de son amant à qui elle fait scène sur scène. Blanche s’en amuse : ce retour de flamme sera un feu de paille ; l’escalier secret ne désemplit pas. Entre deux bosquets, il lui arrive d’avoir quelques échanges amicaux avec Louis. Pour l’heure, elle se contente des miettes.
Un soir de juin, nue, sous un drap frais, elle lit La Princesse de Clèves que Mme de La Fayette vient de publier avec le soutien de son vieil amant, La Rochefoucauld. Les bras croisés derrière la tête, Athénaïs se laisse bercer par le roucoulement des colombes. Elle sort de sa torpeur,
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