La Revanche de Blanche
avec son acolyte. Athénaïs fait entrer Blanche. Dans ses mains, une figurine de cire habillée d’une robe paille, des épingles enfoncées dans le cœur, les seins, le bas-ventre.
— Il y en a treize, en bronze, se félicite-t-elle.
— Cette poupée est la copie de la Fontanges, pâlit Blanche. Tu lui jettes un sort ?
— Il faut attendre sept jours… Pour l’heure, la Voisin m’a conseillé de me montrer très amicale avec Angélique.
Blanche essuie son front. Athénaïs ne voit-elle pas qu’elle est pitoyable ?
Un après-midi pluvieux, Blanche joue à la bassette avec Françoise de Maintenon. La gouvernante lui avoue qu’elle a l’intention de prier pour le roi : « Même s’il l’ignore, il se trouve au bord d’un grand précipice. » Qui le dirait ? Discret, fidèle à ses habitudes, le roi suit un rituel très codifié. Lever, messe, réunions, chasse, petit souper, concert, coucher. Aux souvenirs de leurs tête-à-queue délicieux, Blanche se renfrogne. Terrée dans ses appartements, Athénaïs cache son ventre sous une dizaine de volants. Blanche tente de la distraire, évoque les aventures de la Champmeslé, les pitreries de Baron, les pédanteries d’Hauteroche. La Montespan n’a qu’une obsession : accoucher, retrouver les faveurs du roi.
Le jour de la Saint-Nicolas, la marquise perd les eaux. Antoine d’Aquin, premier médecin du roi, est à son chevet. La Cour au grand complet assiste à la naissance. L’enfant était prévu pour février. D’Aquin se veut optimiste. Après six heures de souffrance, Athénaïs met bas. D’Aquin recueille un garçon si maigrichon qu’il le saigne aussitôt. Le nouveau-né suffoque. Le docteur s’affole, secoue l’enfant, le fesse.
— Madame, il ne vit plus, déclare-t-il en l’ondoyant.
Le roi prend la main de la favorite :
— Courage, ma chère.
Le soir même, vêtue d’une robe parme, Athénaïs assiste au grand souper. À la gauche du roi, Angélique triomphe.
— Souriez, madame de Montespan. Réservez votre mélancolie à vos bonnes amies, ordonne Louis en faisant signe à Lully de faire jouer ses violons.
Livide, Athénaïs ne touche pas aux plats. Après le repas, les larmes aux yeux, elle s’épanche : la mort de cet enfant lui semble un mauvais présage. Blanche a beau la réconforter, la marquise est inconsolable. Dehors, un loup hurle à la lune morte.
Pour les fêtes de Noël, le roi a commandé à Lully un petit ballet pastoral auquel participeront les jeunes filles de la Cour. Angélique sera à l’honneur. Trop âgées, Athénaïs et la Maintenon n’y sont pas conviées. Une répétition a lieu dans le théâtre du château. En robe bleue à volants blancs, Angélique papillonne. Primesautière, elle danse à ravir. Athénaïs la fusille du regard et sort de la pièce en rageant :
— Elle porte des rubans du même bleu que ceux du roi. Autrefois, quand il était mon Valentin, c’est moi qui portais ses couleurs. Les courtisans me boudent, le roi va m’obliger à quitter la Cour. J’ai sept enfants, il n’a pas le droit de me traiter ainsi.
Blanche pose un châle sur ses épaules :
— Il est saisi par le démon de midi, ça lui passera. Angélique n’a ni ton esprit ni ta culture. Qu’a-t-elle de plus que toi ?
— Dix ans de moins, ma chérie.
— Comme dit Ninon : « Si Dieu m’avait fait l’honneur de me consulter, je lui aurais conseillé de placer les rides des femmes sous le talon. »
Deux jours plus tard, après une soirée à jouer au billard, Athénaïs demande à nouveau à Blanche de veiller à ce que personne n’entre dans sa chambre. Il est minuit lorsque la Voisin surgit par une porte dérobée. L’oreille contre la porte, Blanche tente d’entendre les propos échangés entre les deux femmes : murmures et chuchotements. La Voisin partie, elle s’empresse d’interroger Athénaïs.
— Je lui ai commandé des onguents qui rajeunissent la peau. Demain, je me ferai masser à l’aide d’une huile précieuse et j’aurai, moi aussi, dix ans de moins.
Blanche soupire : il y a dans la voix d’Athénaïs la funèbre solennité de l’office des trépassés. Avant les fêtes de fin d’année, l’intendant lui remet une bourse. Elle quitte le château, rassurée par la rente royale qui gonfle son sac et son cœur : le roi l’aime tout de même un peu.
Le jour de Noël, comme à son habitude, Ninon reçoit ses chers enfants. Hâlé,
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