Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Modiano
Vom Netzwerk:
qualificatif de « donneuse » qui me causait un pincement au cœur, un vertige chaque fois que je l’entendais prononcer, DONNEUSE . Je m’efforçais quand même de retarder cette échéance en expliquant à mes deux patrons que les membres du R.C.O. étaient inoffensifs. Des garçons chimériques. Bourrés d’idéal, voilà tout. Pourquoi ne laisserait-on pas ces aimables crétins divaguer ? Ils souffraient d’une maladie : la jeunesse, dont on se remet très vite. D’ici quelques mois, ils seraient beaucoup plus raisonnables. Le lieutenant lui-même abandonnerait le combat. D’ailleurs de quel combat s’agissait-il sinon d’un bavardage enflammé au cours duquel les mots : Justice, Progrès, Vérité, Démocratie, Liberté, Révolution, Honneur, Patrie revenaient sans cesse ? Tout cela me semblait très anodin. À mon avis, le seul homme dangereux était LAM - BAL - LE , que je n’avais pas encore identifié. Invisible. Insaisissable. Le véritable chef du R.C.O. Il agirait, lui, et de la manière la plus brutale. On en parlait rue Boisrobert avec un tremblement de crainte et d’admiration dans la voix, LAM - BAL - LE  ! Qui était-il ? Quand je questionnais le lieutenant, il se montrait évasif. — Les gangsters et les vendus qui tiennent, en ce moment, le haut du pavé, LAMBALLE ne les épargnera pas. LAMBALLE frappe vite et fort. Nous obéirons à LAMBALLE les yeux fermés, LAMBALLE ne se trompe jamais. LAMBALLE est un type admirable. LAMBALLE , notre seul espoir… Je ne pouvais pas obtenir de détails plus précis. Un peu de patience et nous débusquerions ce mystérieux personnage. Je répétais au Khédive et à Philibert que la capture de Lamballe devait être notre unique objectif. LAM - BAL - LE  ! Quant aux autres, ils ne comptaient pas. De gentils bavards. Je demandais qu’on les épargnât. « Nous verrons. Donnez-nous d’abord des renseignements sur ce Lamballe. Vous entendez ? »
    La bouche du Khédive se contractait dans un rictus de mauvais augure. Philibert, pensif, se lissait les moustaches en répétant : «  LAM - BAL - LE , LAM - BAL - LE . & MDASH ; Je lui réglerai son compte à ce LAMBALLE , concluait le Khédive et ce n’est ni Londres, ni Vichy, ni les Américains qui le sortiront de là. Cognac ? Craven ? Servez-vous, mon petit. — Nous venons de négocier le Sebastiano del Piombo, déclarait Philibert. Voici vos dix pour cent de commission. » Il me tendait une enveloppe vert pâle. « Trouvez-moi pour demain quelques bronzes asiatiques. Nous avons contacté un client. » Je prenais goût à ce travail annexe dont ils me chargeaient : découvrir des œuvres d’art et les rapporter aussitôt square Cimarosa. Le matin, je m’introduisais chez de riches particuliers qui avaient quitté Paris à la suite des événements. Il suffisait de crocheter une serrure ou de réclamer la clé au concierge en exhibant sa carte de police. Je fouillais minutieusement les maisons abandonnées. Leurs propriétaires, en partant, y avaient laissé de menus objets : pastels, vases, tapisseries, livres, manuscrits. Cela ne suffisait pas. Je partais à la recherche des garde-meubles, lieux sûrs, cachettes susceptibles d’abriter en cette époque de troubles les collections les plus précieuses. Un grenier de la banlieue est où m’attendaient des Gobelins et des tapis persans, un vieux garage de la porte Champerret encombré de tableaux de maîtres. Dans une cave d’Auteuil une mallette renfermant des bijoux de l’Antiquité et de la Renaissance. Je me livrais à ce pillage le cœur léger et même avec une sorte d’allégresse dont j’aurais honte — plus tard — devant les tribunaux. Nous vivions des temps exceptionnels. Les vols, les trafics devenaient monnaie courante et le Khédive, jugeant de mes aptitudes, m’employait à la récupération des œuvres d’art plutôt qu’à celle des métaux non ferreux. Je lui en étais reconnaissant. J’ai connu de grands bonheurs esthétiques. Par exemple, devant un Goya représentant l’assassinat de la princesse de Lamballe. Son propriétaire avait cru le préserver en le cachant dans un coffre-fort de la Banque Franco-Serbe, 3, rue du Helder. Il a suffi que je montre ma carte de police pour qu’on me laisse disposer de ce chef-d’œuvre. Nous vendions tous les objets saisis. Curieuse époque. Elle aura fait de moi un individu « peu reluisant ». Indic, pillard, assassin peut-être. Je n’étais pas

Weitere Kostenlose Bücher