La Sorcière
faite à l'improviste devant le juge ecclésiastique qu'on envoya pour la surprendre. Ce sont, on le sent partout, les mots sortis d'un jeune cœur qui parle comme devant Dieu.
La seconde devant le roi , je veux dire devant le magistrat qui le représentait, le lieutenant civil et criminel de Toulon.
La dernière enfin devant la grande chambre du Parlement d'Aix . (Pages,5S, 12, 381 du Procès , in-folio.)
Notez que toutes les trois, admirablement concordantes, sont imprimées à Aix sous les yeux de ses ennemis, dans un volume où l'on veut (je l'établirai plus tard) atténuer les torts de Girard, fixer l'attention du lecteur sur tout ce qui peut être défavorable à la Cadière. Et cependant l'éditeur n'a pas pu se dispenser de donner ces dépositions accablantes pour celui qu'il favorise.
Inconséquence monstrueuse. Il effraya la pauvre fille, puis brusquement abusa indignement, barbarement de sa terreur 33. .
L'amour n'est point du tout ici la circonstance atténuante. Loin de la. Il ne l'aimait plus. C'est ce qui fait le plus d'horreur. On a vu ses cruels breuvages, et l'on va voir son abandon. Il lui en voulait de valoir mieux que ces femmes avilies. Il lui en voulait de l'avoir tenté (si innocemment), compromis. Mais surtout il ne lui pardonnait pas de garder une âme. Il ne voulait que la dompter, mais accueillait avec espoir le mot qu'elle disait souvent : « Je le sens, je ne vivrai pas. » Libertinage scélérat ! Il donnait de honteux baisers à ce pauvre corps brisé qu'il eut voulu voir mourir !
Comment lui expliqua-t-il ces contradictions choquantes de caresses et de cruautés ? Les donna-t-il pour des épreuves de patience et d'obéissance ? ou bien passa-t-il hardiment au vrai fonds de Molinos : « Que c'est à force de péchés qu'on fait mourir le péché » ? Prit-elle cela au sérieux ? et ne comprit-elle pas que ces semblants de justice, d'expiation, de pénitence, n'étaient que libertinage ?
Elle ne voulait pas le savoir, dans l'étrange débâcle morale qu'elle eut après ce 23 mai, en juin, sous l'influence de la molle et chaude saison. Elle subissait son maître, ayant peur un peu de lui, et d'un étrange amour d'esclave, continuant cette comédie de recevoir chaque jour de petites pénitences. Girard la ménageait si peu qu'il ne lui cachait pas même ses rapports avec d'autres femmes. Il voulait la mettre au couvent. Elle était, en attendant, son jouet ; elle le voyait, laissait faire. Faible et affaiblie encore par ses hontes énervantes, de plus en plus mélancolique, elle tenait peu à la vie, et répétait ces paroles (nullement tristes pour Girard) : « Je le sens, je mourrai bientôt. »
26. Dans une affaire si discutée, je cite constamment, et surtout un volume in-folio : Procédure du P. Girard et de la Cadière . Aix, 1733. Pour ne pas multiplier les notes, j'indique seulement dans mon texte la page de ce volume.
27. Biblioth. de la ville de Toulon, Pièces et chansons manuscrites , 1 vol. in-folio, très-curieux.
28. V. le Procès , et Swift, Mécanique de l'enthousiasme .
29. V. une très-bonne dissertation manuscrite de M. Brun.
30. V. le livre de M. d'Antrechaus et l'excellente brochure de M. Gustave Lambert.
31. V. surtout A. Maury, Magie .
32. Le grand dauphin était fouetté cruellement. le jeune Bouflers ( de quinze ans ) mourut de douleur de l'avoir été (Saint-Simon). La prieure de l'Abhaye-aux-Bois, menacée par son supérieur « de châtiment afflictif , » réclama auprès du roi ; elle fut, pour l'honneur du couvent, dispensée de la honte publique, mais remise au supérieur, et sans doute la punition fut reçue à petit bruit. — De plus en plus on sentait ce qu'elle avait de dangereux, d'immoral. L'effroi, la honte, amenaient de tristes supplications et d'indignes traités. On ne l'avait que trop vu dans le grand procès qui, sous l'empereur Joseph, dévoila l'intérieur des collèges des jésuites, qui plus tard fut réimprimé sous Joseph II et de nos jours.
33. On a mis ceci en grec, en le falsifiant deux fois, à la p. 6 et à la p. 389, afin de diminuer le crime de Girard. La version la plus exacte ici est celle de sa déposition devant le lieutenant criminel de Toulon, p. 12, etc.
XI
La Cadière au couvent, 1730
L'abbesse du couvent d'Ollioules était jeune pour une abbesse ; elle n'avait que trente-huit ans. Elle ne manquait pas d'esprit. Elle était vive, soudaine à aimer ou haïr, emportée du cœur ou
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