La Sorcière
désespoir ; c'est le misérable , celui qui a connaissance parfaite de sa misère, qui en souffre d'autant plus et n'attend aucun remède le misérable en ce sens, c'est l'homme du quatorzième siècle, l'homme dont on exige l'impossible (des redevances en argent). — Dans ce chapitre et le suivant, j'ai marqué les situations, les sentiments, les progrès dans le désespoir, qui peuvent amener le traité énorme du pacte , et, ce qui est bien plus que le simple pacte, l'horrible état de sorcière . Nom prodigué, mais chose rare alors, laquelle n'était pas moins qu'un mariage et une sorte de pontificat. Pour la facilité de l'exposition, j'ai rattaché les détails de cette délicate analyse à un léger fil fictif le cadre importe peu du reste. L'essentiel, c'est de bien comprendra que de telles choses ne vinrent point (comme on tachait de le faire croire) de la légèreté humaine, de l'inconstance de la nature déchue, des tentations fortuites de la concupiscence . Il y fallut la pression fatale d'un âge de fer, celle des nécessités atroces ; il fallut que l'enfer même parût un abri, un asile, contre l'enfer d'ici bas.
25. C'était une méthode fort usitée pour forcer les juifs de contribuer. Le roi Jean sans Terre y eut souvent recours.
26. Tolède paraît avoir été la ville sainte des sorciers, innombrables en Espagne. Leurs relations avec les Maures, tellement civilisés, avec tes juifs, fort savants et maîtres alors de l'Espagne (comme agents du fisc royal) avaient donné aux sorciers une plus haute culture, et ils formaient à Tolède une sorte d'université. Au seizième siècle, on l'avait christianisée, transformée, réduite à la magie blanche. Voir la Déposition du sorcier Achard, sieur de Beaumont, médecin en Poitou . Lancre, Incrédulité , p. 781.
27. C'est le grand et cruel outrage, qu'on trouve usité dans ces temps. Il est, dans les lois galloises et anglo-saxonnes, la peine de l'impureté. Grimm, 679, 711. Sternhook, 19, 326, Ducange, III, 52, Michelet, Origines , 386, 389. — Plus tard, le même affront est indignement infligé aux femmes honnêtes, aux bourgeoises déjà fières, que la noblesse veut humilier. On sait le guet-apens où le tyran Hagenbach fit tomber les dames honorables de la haute bourgeoisie d'Alsace, probablement en dérision de leur riche et royal costume, tout de soie et d'or. J'ai rapporté aussi dans mes Origines (page 250) le droit étrange que le sire de Pacé, en Anjou, réclame sur les femmes jolies (honnêtes) du voisinage. Elles doivent lui apporter au château 4 derniers, un chapeau de roses et danser avec ses officiers. Démarche fort dangereuse, où elles avaient à craindre de trouver un affront, comme celui d'Hagenbach. Pour les y contraindre, on ajoute cette menace que les rebelles dépouillées seront piquées d'un aiguillon marqué aux armes du seigneur.
VI
Le pacte
Il ne manquait que la victime. On savait que le présent le plus doux qu'on pût lui faire, c'était de la lui amener. Elle eût tendrement reconnu l'empressement de celui qui lui eût fait ce don d'amour, livré ce triste corps sanglant.
Mais la proie sentit le chasseur. Quelques minutes plus tard, elle aurait été enlevée, à jamais scellée sous la pierre. Elle se couvrit d'un haillon qui se trouvait dans l'étable, prit des ailes, en quelque sorte, et, avant minuit, se trouva à quelques lieues, loin des routes, sur une lande abandonnée qui n'était que chardons et ronces. C'était à la lisière d'un bois, où, par une lune douteuse, elle put ramasser quelques glands, qu'elle engloutit, comme une bête. Des siècles avaient passé depuis la veille ; elle était métamorphosée. La belle, la reine du village, n'était plus ; son âme, changée, changeait ses attitudes même. Elle était comme un sanglier sur ces glands, ou comme un singe, accroupie. Elle roulait des pensées nullement humaines, quand elle entend ou croit entendre un miaulement de chouette, puis un aigre éclat de rire. Elle a peur, mais c'est peut-être le geai moqueur qui contrefait toutes les voix ; ce sont ses tours ordinaires.
L'éclat de rire recommence. D'où vient-il ? Elle ne voit rien. On dirait qu'il sort d'un vieux chêne.
Mais elle entend distinctement : « Ah ! te voilà donc enfin... Tu n'es pas venue de bonne grâce. Et tu ne serais pas venue si tu n'avais trouvé le fond de ta nécessité dernière... Il t'a fallu, l'orgueilleuse, faire la course sous le fouet, crier et
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