La Sorcière
qui favorise le pire, augmente sa perversité en lui donnant un jouet, et corrompt le démon même !
Temps cruels ! Sentez-vous combien le ciel fut noir et bas, lourd sur la tête de l'homme ! Les pauvres petits enfants, dès leur premier âge, imbus de ces idées horribles, et tremblants dans le berceau ! La vierge pure, innocente, qui se sent damnée du plaisir que lui inflige l'Esprit. La femme, au lit conjugal, martyrisée de ses attaques, résistant, et cependant, par moments, les sentant en elle... Chose affreuse que connaissent ceux qui ont le ténia. Se sentir une vie double, distinguer les mouvements du monstre, parfois agité, parfois d'une molle douceur, onduleuse, qui trouble encore plus, qui ferait croire qu'on est en mer ! Alors, on court éperdu, ayant horreur de soi-même, voulant s'échapper, mourir...
Même aux moments on le démon ne sévissait pas contre elle, la femme qui commençait à être envahie de lui errait accablée de mélancolie. Car, désormais, nul remède. Il entrait invinciblement, comme une fumée immonde. Il est le prince des airs, des tempêtes, et, tout autant, des tempêtes intérieures. C'est ce qu'on voit exprimé grossièrement, énergiquement, sous le portail de Strasbourg. En tête du chœur des Vierges folles , leur chef, la femme scélérate qui les entraîne à l'abîme, est pleine, gonflée du démon, qui regorge ignoblement, et lui sort de dessous ses jupes en noir flot d'épaisse fumée.
Ce gonflement est un trait cruel de la possession ; c'est un supplice et un orgueil. Elle porte son ventre en avant, l'orgueilleuse de Strasbourg, renverse sa tête en arrière. Elle triomphe de sa plénitude, se réjouit d'être un monstre.
Elle ne l'est pas encore, la femme que nous suivons. Mais elle est gonflée déjà de lui et de sa superbe, de sa fortune nouvelle. La terre ne la porte pas. Grasse et belle, avec tout cela, elle va par la rue, tête haute, impitoyable de dédain. On a peur, on hait, on admire.
Notre dame de village dit, d'attitude et de regard : « Je devrais être la Dame !... Et que fait-elle là-haut, l'impudique, la paresseuse, au milieu de tous ces hommes, pendant l'absence du mari ? » La rivalité s'établit. Le village, qui la déteste, en est fier. « Si la châtelaine est baronne, celle-ci est reine... plus que reine, on n'ose dire quoi... » Beauté terrible et fantastique, cruelle d'orgueil et de douleur. Le démon même est dans ses yeux.
Il l'a et ne l'a pas encore. Elle est elle , et se maintient elle . Elle n'est du démon ni de Dieu le démon peut bien l'envahir, y circuler en air subtil ; Et il n'a encore rien du tout. Car il n'a pas la volonté. Elle est possédée, endiablée , et elle n'appartient pas au diable. Parfois il exerce sur elle d'horribles sévices, et n'en tire rien. Il lui met au sein, au ventre, aux entrailles, un charbon de feu. Elle se cabre, elle se tord, et dit cependant encore : « Non, bourreau, je resterai moi. »
« — Gare à toi ! je te cinglerai d'un si cruel fouet de vipère, je te couperai d'un tel coup, qu'après tu iras pleurant et perçant l'air de tes cris. »
La nuit suivante, il ne vient pas. Au matin (c'est le dimanche), l'homme est monté au château. Il en descend tout défait. Le seigneur a dit : « Un ruisseau qui va goutte à goutte ne fait pas tourner le moulin... Tu m'apportes sou à sou, ce qui ne me sert à rien... Je vais partir dans quinze jours. Le roi marche vers la Flandre, et je n'ai pas seulement un destrier de bataille. Le mien boite depuis le tournoi. Arrange-toi. Il me faut cent livres... — Mais, monseigneur, où les trouver ? — Mets tout le village à sac, si tu veux. Je vais te donner assez d'hommes... Dis à tes rustres qu'ils sont perdus si l'argent n'arrive pas ; et, toi le premier, tu es mort... J'ai assez de loi. Tu as le cœur d'une femme ; tu es un lâche, un paresseux. Tu périras, tu la payeras, ta mollesse, ta lâcheté. Tiens, il ne tient presque à rien que tu ne descendes pas, que je ne te garde ici... C'est dimanche ; on rirait bien si on te voyait d'en bas gambiller à mes créneaux. »
Le malheureux redit cela à sa femme, n'espère rien, se prépare à la mort, recommande son âme à Dieu. Elle, non moins effrayée, ne peut se coucher ni dormir. Que faire ? Elle a bien regret d'avoir renvoyé l'Esprit. S'il revenait !... Le matin, lorsque son mari se lève, elle tombe épuisée sur le lit. A peine elle y est qu'elle
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