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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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marteau des sorcières
    Les sorcières prenaient peu de peine pour cacher leur jeu. Elles s'en vantaient plutôt, et c'est de leur bouche même que Sprenger a recueilli une grande partie des histoires qui ornent son manuel. C'est un livre pédantesque, calqué ridiculement sur les divisions et subdivisions usitées par les Thomistes, mais naïf, très-convaincu, d'un homme vraiment effrayé, qui, dans ce duel terrible entre Dieu et le Diable où Dieu permet généralement que le Diable ait l'avantage, ne voit de remède qu'à poursuivre celui-ci la flamme en main, brûlant au plus vite les corps où il élit domicile.
    Sprenger n'a eu que le mérite de faire un livre plus complet, qui couronne un vaste système, toute une littérature. Aux anciens pénitentiaires , aux manuels des confesseurs pour l'inquisition des péchés, succédèrent les directoria pour l'inquisition de l'hérésie, qui est le plus grand péché. Mais pour la plus grande hérésie, qui est la sorcellerie, on fit des directoria ou manuels spéciaux, des Marteaux pour les sorcières. Ces manuels, constamment enrichis par le zèle des dominicains, ont atteint leur perfection dans le Maliens de Sprenger, livre qui le guida lui-même dans sa grande mission d'Allemagne et resta pour un siècle le guide et la lumière des tribunaux d'inquisition.
    Comment Sprenger fut-il conduit à étudier ces matières ? Il raconte qu'étant à Rome, au réfectoire où les moines hébergeaient des pèlerins, il en vit deux de Bohême ; l'un, jeune prêtre, l'autre, son père. Le père soupirait et priait pour le succès de son voyage. Sprenger, ému de charité, lui demande d'où vient son chagrin. C'est que son fils est possédé ; avec grande peine et dépense, il l'amène à Rome, au tombeau des saints. « Ce fils, où est-il ? dit le moine. — A côté de vous. A cette réponse, j'eus peur, et me reculai. J'envisageai le jeune prêtre et fus étonné de le voir manger d'un air très-modeste et répondre avec douceur. Il m'apprit qu'ayant parlé un peu durement à une vieille, elle lui avait jeté un sort ; ce sort était sous un arbre. Sous lequel ? la sorcière s'obstinait à ne pas le dire. » Sprenger, toujours par charité, se mit à mener le possédé d'église en église et de relique en relique. A chaque station, exorcisme, fureur, cris, contorsions, baragouinage en toute langue et force gambades. Tout cela devant le peuple, qui les suivait, admirait, frissonnait. Les diables, si communs en Allemagne, étaient plus rares en Italie. En quelques jours, Rome ne parlait d'autre chose. Cette affaire, qui fit grand bruit, recommanda sans nul doute le dominicain à l'attention. Il étudia, compila tous les Mallei et autres manuels manuscrits, et devint de première force en procédure démoniaque. Son Mallcus dut être fait dans les vingt ans qui séparent cette aventure de la grande mission donnée à Sprenger par le pape Innocent VIII, en 1484.
     
    Il était bien nécessaire de choisir un homme adroit pour cette mission d'Allemagne, un homme d'esprit, d'habileté, qui vainquît la répugnance des loyautés germaniques au ténébreux système qu'il s'agissait d'introduire. Rome avait eu aux Pays-Bas un rude échec qui y mit l'inquisition en honneur et, par suite, lui ferma la France (Toulouse seule, comme ancien pays albigeois, y subit l'inquisition). Vers l'année 1460, un pénitencier de Rome, devenu doyen d'Arras, imagina de frapper un coup de terreur sur les chambres de rhétorique (ou réunions littéraires), qui commençaient à discuter des matières religieuses. Il brûla comme sorcier un de ces rhétoriciens et, avec lui, des bourgeois riches, des chevaliers même. La noblesse, ainsi touchée, s'irrita ; la voix publique s'éleva avec violence. L'Inquisition fut conspuée, maudite, surtout en France. Le Parlement de Paris lui ferma rudement la porte, et Rome, par sa maladresse, perdit cette occasion d'introduire dans tout le Nord cette domination de terreur.
    Le moment semblait mieux choisi vers 1484. L'Inquisition, qui avait pris en Espagne des proportions si terribles et dominait la royauté, semblait alors devenue une institution conquérante, qui dût marcher d'elle-même, pénétrer partout et envahir tout. Elle trouvait, il est vrai, un obstacle en Allemagne, la jalouse opposition des princes ecclésiastiques, qui, ayant leurs tribunaux, leur inquisition personnelle, ne s'étaient jamais prêtés à recevoir celle de Rome. Mais la

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