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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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l'Aréopagite, Origène, Jean Damascène). Donc l'amour n'est que la cause indirecte de l'amour. »
    Voilà ce que c'est que d'étudier. Ce n'est pas une faible écolo qui pouvait produire un tel homme. Cologne seule, Louvain, Paris, avaient les machines propres à mouler le cerveau humain. L'école de Paris était forte ; pour le latin de cuisine, qu'opposer au Janotus de Gargantua ? Mais plus forte était Cologne, glorieuse reine des ténèbres qui a donné à Hutten le type des Obscuri viri , des obscurantins et ignorantins, race si prospère et si féconde.
    Ce solide scolastique, plein de mots, vide de sens, ennemi juré de la nature, autant que de la raison, siège avec une foi superbe dans ses livres et dans su robe, dans sa crasse et sa poussière. Sur la table de son tribunal, il a la Somme d'un côté, de l'autre le Directorium . Il n'en sort pas. A tout le reste il sourit. Ce n'est pas à un homme comme lui qu'on en fait accroire, ce n'est pas lui qui donnera dans l'astrologie ou dans l'alchimie, sottises pas encore assez sottes, qui mèneraient à l'observation. Que dis-je ? Sprenger est esprit fort, il doute des vieilles recettes. Quoique Albert le Grand assure que la sauge dans une fontaine suffit pour faire un grand orage, il secoue la tête. La sauge ? à d'autres ! je vous prie. Pour peu qu'on ait d'expérience, on reconnaît ici la ruse de celui qui voudrait faire perdre sa piste et donner le change, l'astucieux Prince de l'air ; mais il y aura du mal, il a affaire à un docteur plus malin que le Malin.
    J'aurais voulu voir en face ce type admirable du juge et les gens qu'on lui amenait. Des créatures que Dieu prendrait dans deux globes différents ne seraient pas plus opposées, plus étrangères l'une à l'autre, plus dépourvues de langue commune. La vieille, squelette déguenillé à l'œil flamboyant de malice, trois fois recuite au feu d'enfer ; le sinistre solitaire, berger de la forêt Noire, ou des hauts déserts des Alpes : voilà les sauvages qu'on présente à l'œil terne du savantasse, au jugement du scolastique.
    Ils ne le feront pas, du reste, suer longtemps en son lit de justice. Sans torture, ils diront tout. La torture viendra, mais après, pour complément et ornement du procès-verbal. Ils expliquent et content par ordre tout ce qu'ils ont fait. Le Diable est l'intime ami du berger, et il couche avec la sorcière. Elle en sourit, elle en triomphe. Elle jouit visiblement de la terreur de l'assemblée.
    Voilà une vieille bien folle ; le berger ne l'est pas moins. Sots ? Ni l'un ni l'autre. Loin de là, ils sont affinés, subtils, entendent pousser l'herbe et voient à travers les murs. Ce qu'ils voient le mieux encore, ce sont les monumentales oreilles d'une qui ombragent le bonnet du docteur. C'est surtout la peur qu'il a d'eux. Car il a beau faire le brave, il tremble. Lui-même avoue que le prêtre, s'il n'y prend garde, en conjurant le démon, le décide parfois à changer de gîte, à passer dans le prêtre même, trouvant plus flatteur de loger dans un corps consacré à Dieu. Qui sait si ces simples diables de bergers et de sorcières n'auraient pas l'ambition d'habiter un inquisiteur ? Il n'est nullement rassuré, lorsque, de sa plus grosse voix, il dit à la vieille : « S'il est si puissant, ton maître, comment ne sens-je point ses atteintes ? » — « Et je ne les sentais que trop, dit le pauvre homme dans son livre. Quand j'étais à Ratisbonne, que de fois il venait frapper aux carreaux de ma fenêtre ! Que de fois il enfonçait des épingles à mon bonnet ! Puis c'étaient cent visions, des chiens, des singes, etc. »
     
    La plus grande joie du Diable, ce grand logicien, c'est de pousser au docteur, par la voix de la fausse vieille, des arguments embarrassants, d'insidieuses questions, auxquels il n'échappe guère qu'en faisant comme ce poisson qui s'enfuit en troublant l'eau et la noircissant comme l'encre. Par exemple : « Le Diable n'agit qu'autant que Dieu le permet.
    Pourquoi punir ses instruments ? » — Ou bien : « Nous ne sommes pas libres. Dieu permet, comme pour Job, que le Diable nous tente et nous pousse, nous violente avec des coups... Doit-on punir qui n'est pas libre ? » — Sprenger s'en tire en disant : « Vous êtes des êtres libres (ici force textes). Vous n'êtes serfs que de votre pacte avec le Malin. » — A quoi la réponse serait trop facile : « Si Dieu permet au Malin de nous tenter de faire un

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