La Sorcière
pacte, il rend ce pacte possible, etc. »
« Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là ! Sot qui dispute avec le Diable. » — Tout le peuple dit comme lui. Tous applaudissent au procès ; tous sont émus, frémissants, impatients de l'exécution. De pendus, on en voit assez. Mais le sorcier et la sorcière, ce sera une curieuse fête de voir comment ces deux fagots pétilleront dans la flamme.
Le juge a le peuple pour lui. Il n'est pas embarrassé. Avec le Directorium , il suffirait de trois témoins. Comment n'a-t-on pas trois témoins, surtout pour témoigner le faux ? Dans toute ville médisante, dans tout village envieux, plein de haines de voisins, les témoins abondent. Au reste, le Di rectorium est un livre suranné, vieux d'un siècle. Au quinzième, siècle de lumière, tout est perfectionné. Si l'on n'a pas de témoins, il suffit de la voix publique , du cri général 8. .
Cri sincère, cri de la peur, cri lamentable des victimes, des pauvres ensorcelés. Sprenger en est fort touché. Ne croyez pas que ce soit de ces scolastiques insensibles, hommes de sèche abstraction. Il a un cœur. C'est justement pour cela qu'il tue si facilement. Il est pitoyable, plein de charité. Il a pitié de cette femme éplorée, naguère enceinte, dont la sorcière étouffa l'enfant d'un regard. Il a pitié du pauvre homme dont elle a fait grêler le champ. Il a pitié du mari qui, n'étant nullement sorcier, voit bien que sa femme est sorcière, et la traîne, la corde au cou, à Sprenger, qui la fait brûler.
Avec un homme cruel, on s'en tirerait peut-être ; mais, avec ce bon Sprenger, il n'y a rien à espérer. Trop forte est son humanité ; on est brûle sans remède, ou bien il faut bien de l'adresse, une grande présence d'esprit. Un jour, on lui porte plainte de la part de trois bonnes dames de Strasbourg qui, au même jour, à la même heure, ont été frappées de coups invisibles. Comment ? Elles ne peuvent accuser qu'un homme de mauvaise mine qui leur aura jeté un sort. Mandé devant l'inquisiteur, l'homme proteste, jure par tous les saints qu'il ne connaît point ces dames, qu'il ne les a jamais vues. Le juge ne veut point 1e croire. Pleurs, serments, rien ne servait. Sa gronde pitié pour les dames le rendait inexorable, indigné des dénégations. Et déjà il se levait. L'homme allait être torturé, et là il eût avoué, comme faisaient les plus innocents. Il obtient de parler et dit : « J'ai mémoire, en effet, qu'hier, à cette heure, j'ai battu... qui ? non des créatures baptisées, mais trois chattes qui furieusement sont venues pour me mordre aux jambes... » — Le juge, en homme pénétrant, vit alors toute l'affaire ; le pauvre homme était innocent, les dames étaient certainement à tels jours transformées en chattes, et le Malin s'amusait à les jeter aux jambes des chrétiens pour perdre ceux-ci et les faire passer pour sorciers.
Avec un juge moins habile, on n'eût pas deviné ceci. Mais on ne pouvait toujours avoir un tel homme. Il était bien nécessaire que, toujours sur la table de l'inquisition, il y eût un bon guide-âne qui révélât au juge, simple et peu expérimenté, les ruses du vieil Ennemi, les moyens de les déjouer, la tactique habile et profonde dont le grand Sprenger avait si heureusement fait usage dans ses campagnes du Rhin. Dans cette vue, le Malleus , qu'on devait porter dans la poche, fut imprimé généralement dans un format rare alors, le petit in-18. Il n'eût pas été séant qu'à l'audience, embarrassé, le juge ouvrit sur la table un in-folio. Il pouvait, sans affectation, regarder du coin de l'œil, et, sous la table, fouiller son manuel de sottise.
Le Malleus , comme tous les livres de ce genre, contient un singulier aveu, c'est que le Diable gagne du terrain, c'est-à-dire que Dieu en perd ; que le genre humain, sauvé par Jésus, devient la conquête du Diable. Celui-ci, trop visiblement, avance de légende en légende. Que de chemin il a fait depuis les temps de l'Évangile, où il était trop heureux de se loger dans des pourceaux, jusqu'à l'époque de Dante, où, théologien et juriste, il argumente avec les saints, plaide, et, pour conclusion d'un syllogisme vainqueur, emportant l'âme disputée, dit avec un rire triomphant : « Tu ne savais pas que j'étais logicien ! »
Aux premiers temps du moyen âge, il attend encore l'agonie pour prendre l'âme et remporter. Sainte Hildegarde (vers 1100) croit « qu'il
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