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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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ne peut pas entrer dans le corps d'un homme vivant , autrement les membres se disperseraient ; c'est l'ombre et la fumée du Diable qui y entrent seulement. » Cette dernière lueur de bon sens disparaît au douzième siècle. Au treizième, nous voyons un prieur qui craint tellement d'être pris vivant, qu'il se fait garder jour et nuit par deux cents hommes armés.
    Là commence une époque de terreurs croissantes, où l'homme se fie de moins en moins à la protection divine. Le Démon n'est plus un esprit furtif, un voleur de nuit qui se glisse dans les ténèbres ; c'est l'intrépide adversaire, l'audacieux singe de Dieu, qui, sous son soleil, en plein jour, contrefait sa création. Qui dit cela ? La légende ? Non, mais les plus grands docteurs. Le Diable transforme tous les êtres, dit Albert le Grand. Saint Thomas va bien plus loin. « Tous les changements, dit-il, qui peuvent se faire de nature et par les germes, le Diable peut les imiter. » Étonnante concession, qui, dans une bouche si grave, ne va pas à moins qu'à constituer un Créateur en face du Créateur ! « Mais pour ce qui peut se faire sans germer, ajoute-t-il, une métamorphose d'homme en bête, la résurrection d'un mort, le Diable ne peut les faire. » Voilà la part de Dieu petite. En propre, il n'a que le miracle, l'action rare et singulière. Mais le miracle quotidien, la vie, elle n'est plus à lui seul : le Démon, son imitateur, partage avec lui la nature.
    Pour l'homme, dont les faibles yeux ne font pas différence de la nature créée de Dieu à la nature créée du Diable, voilà le monde partagé. Une terrible incertitude planera sur toute chose. L'innocence de la nature est perdue. La source pure, la blanche fleur, le petit oiseau, sont-ils bien de Dieu, ou de perfides imitations, des pièges tendus à l'homme ?... Arrière ! tout devient suspect. Des deux créations, la bonne, comme l'autre en suspicion, est obscurcie et envahie. L'ombre du Diable voile le jour, elle s'étend sur toute vie. A juger par l'apparence et par les terreurs humaines, il ne partage pas le monde, il l'a usurpé tout entier.
    Les choses en sont là au temps de Sprenger. Son livre est plein des aveux les plus tristes sur l'impuissance de Dieu. Il permet , dit-il, qu'il en soit ainsi. Permettre une illusion si complète, laisser croire que le Diable est tout, Dieu rien, c'est plus que permettre , c'est décider la damnation d'un monde d'âmes infortunées que rien ne défend contre cette erreur. Nulle prière, nulle pénitence, nul pèlerinage ne suffit ; non pas même (il en fait l'aveu) le sacrement de l'autel. Étrange mortification ! Des nonnes, bien confessées, l' hostie dans la bouche , avouent qu'à ce moment même elles ressentent l'infernal amant, qui sans vergogne ni peur, les trouble et ne lâche pas prise. Et, pressées de questions, elles ajoutent, en pleurant, qu'il a le corps, parce qu'il a l'âme .
     
    Les anciens Manichéens, les modernes Albigeois, furent accusés d'avoir cru à la puissance du Mal qui luttait à côté du Dion, et fait le Diable égal de Dieu. Mais ici il est plus qu'égal. Si Dieu, dans l'hostie, ne fait rien, le Diable parait supérieur.
    Je ne m'étonne pas du spectacle étrange qu'offre alors le monde. L'Espagne, avec une sombre fureur, l'Allemagne, avec la colère effrayée et pédantesque dont témoigne le Malleus , poursuivent l'insolent vainqueur dans les misérables où il élit domicile ; on brûle, on détruit les logis vivants où il s'était établi. Le trouvant trop fort dans l'âme, on veut le chasser des corps. A quoi bon ? Brûlez cette vieille, il s'établit chez la voisine ; que dis-je ? il se saisit parfois (si nous en croyons Sprenger) du prêtre qui l'exorcise, triomphant dans son juge même.
    Les dominicains, aux expédients, conseillaient pourtant d'essayer l'intercession de la Vierge, la répétition continuelle de l' Ave Maria . Toutefois Sprenger avoue que ce remède est éphémère. On peut être pris entre deux Ave . De là l'invention du Rosaire, le chapelet des Ave par lequel on peut sans attention marmotter indéfiniment pendant que l'esprit est ailleurs. Des populations entières adoptent ce premier essai de l'art par lequel Loyola essayera de mener le inonde, et dont ses Exercitia sont l'ingénieux rudiment.
     
    Tout ceci semble contredire ce que nous avons dit au chapitre précédent sur la décadence de la sorcellerie. Le Diable est maintenant populaire et présent

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