La Sorcière
étaient humiliés. Auraient-ils pu faire mieux que ce laïque ? Aussi les moines seigneurs de Saint-Claude, contre leurs sujets, adonnés à la sorcellerie, prirent pour juge un laïque, l'honnête Boguet. Dans ce triste Jura, pays pauvre de maigres pâturages et de sapins, le serf sans espoir se donnait au Diable. Toits adoraient le chat noir.
Le livre de Boguet (1602) eut une autorité immense. Messieurs des Parlements étudièrent, comme un manuel, ce livre d'or du petit juge de Saint-Claude. Boguet, en réalité, est un vrai légiste, scrupuleux même, à sa manière. Il blâme la perfidie dont on usait dans ces procès ; il ne veut pas que l'avocat trahisse son client ni que le juge promette grâce à l'accusé pour le faire mourir. Il blâme les épreuves si peu sûres auxquelles on soumettait encore les sorcières. « La torture, dit-il, est superflue ; elles n'y cèdent jamais. » Enfin il a l'humanité de les faire étrangler avant qu'on les jette au feu, sauf toutefois les loups-garous, « qu'il faut avoir bien soin de brûler vifs. » Il ne croit pas que Satan veuille faire pacte avec les enfants : « Satan est fin ; il sait trop bien qu'au-dessous de quatorze ans ce marché avec un mineur pourrait être cassé pour défaut d'âge et de discrétion. » Voilà donc les enfants sauvés ? Point du tout ; il se contredit ; ailleurs, il croit qu'on ne purgera cette lèpre qu'en brûlant tout, jusqu'aux berceaux. Il en fût venu là s'il eût vécu. Il fit du pays un désert. Il n'y eut jamais un juge plus consciencieusement exterminateur.
Mais c'est au Parlement de Bordeaux qu'est poussé le cri de victoire de la juridiction laïque dans le livre de Lancre : Inconstance des démons (1612). L'auteur, homme d'esprit, conseiller de ce Parlement, raconte en triomphateur sa bataille contre le Diable au pays basque, où, en moins de trois mois, il a expédié je ne sais combien de sorcières, et, ce qui est plus fort, trois prêtres. Il regarde en pitié l'inquisition d'Espagne, qui, près de là, à Logroño (frontière de Navarre et de Castille), a traîné deux ans un procès et fini maigrement par un petit auto-da-fé, en relâchant tout un peuple de femmes.
10. Voir Soldait pour ce fait et pour tout ce qui regarde l'Allemagne.
IV
Les sorcières basques, 1609
Cette vigoureuse exécution de prêtres indique assez que M. de Lancre est un esprit indépendant. Il l'est en politique. Dans son livre du Prince (1617), il déclare sans ambages que « la Loi est au-dessus du Roi. »
Jamais les Basques ne furent mieux caractérisés que dans le livre de l' Inconstance . Chez nous, comme en Espagne, leurs privilèges les mettaient quasi en république. Les nôtres ne devaient au roi que de le servir en armes ; au premier coup de tambour, ils devaient armer deux mille hommes, sous leurs capitaines basques. Le clergé ne pesait guère ; il poursuivait peu les sorciers, l'étant lui-même. Le prêtre dansait, portait l'épée, menait sa maîtresse au sabbat. Cette maîtresse était sa sacristine ou bénédicte , qui arrangeait l'église. Le curé ne se brouillait avec personne, disait à Dieu sa messe blanche le jour, la nuit au Diable la messe noire, et parfois dans la même église. (Lancre.)
Les Basques de Bayonne et de Saint-Jean de Luz, têtes hasardeuses et excentriques d'une fabuleuse audace, qui s'en allaient en barque aux mers les plus sauvages harponner la baleine, faisaient nombre de veuves. Ils se jetèrent en masse dans les colonies d'Henri IV, l'empire du Canada, laissant leurs femmes à Dieu ou au Diable. Quant aux enfants, ces marins, fort honnêtes et probes, y auraient songé davantage, s'ils en eussent été sûrs. Mais, au retour de leurs absences, ils calculaient, comptaient les mois, et ne trouvaient jamais leur compte.
Les femmes, très-jolies, très-hardies, imaginatives, passaient le jour, assises aux cimetières sur les tombes, à jaser du sabbat, en attendant qu'elles y allassent le soir. C'était leur rage et leur furie.
Nature les fait sorcières : ce sont les filles de la mer et de l'illusion. Elles nagent comme des poissons, jouent dans les flots. Leur maître naturel est le Prince de l'air, roi des vents et des rêves, celui qui gonflait la sibylle et lui soufflait l'avenir.
Leur juge qui les brûle est pourtant charmé d'elles : « Quand on les voit, dit-il, passer, les cheveux au vent et sur les épaules, elles vont, dans cette belle chevelure, si parées et
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