La Sorcière
pourri de Mazarin, le début de la faible Anne d'Autriche. Plus d'ordre, plus de gouvernement. « Il n'y avait plus qu'un mot dans la langue : La reine est si bonne . » Cette bonté donnait au clergé une chance pour dominer ; L'autorité laïque étant enterrée avec Richelieu, évêques, prêtres et moines allaient régner. L'audace impie du magistrat et d'Yvelin compromettait ce doux espoir. Des voix gémissantes vinrent à la bonne reine, non celles des victimes, mais celles des fripons pris en flagrant délit. On s'en alla pleurer à la cour pour la religion outragée.
Yvelin n'attendait pas ce coup ; il se croyait solide en cour, ayant depuis dix ans un titre de chirurgien de la reine. Avant qu'il revint de Louviers à Paris, on obtint de la faiblesse d'Anne d'Autriche d'autres experts, ceux qu'on voulait, un vieux sot en enfance, un Diafoirus de Rouen et son neveu, deux clients du clergé. Ils ne manquèrent pas de trouver que l'affaire de Louviers était surnaturelle, au-dessus de tout art humain.
Tout autre qu'Yvelin se fût découragé. Ceux de Rouen, qui étaient médecins, traitaient de haut eu bas ce chirurgien, ce barbier, ce frater. La cour ne le soutenait pas. Il s'obstina dans une brochure qui restera. Il accepte ce grand duel de la science contre le clergé, déclare (comme Wyer au seizième siècle) « que le vrai juge en ces choses n'est pas le prêtre, mais l'homme de science ». A grand-peine, il trouva quelqu'un qui osât imprimer, mais personne qui voulût vendre. Alors, ce jeune homme héroïque se fit en plein soleil distributeur du petit livre. Il se posta au lieu le plus passager de Paris, au pont Neuf, aux pieds d'Henri IV, donna son factum aux passants. On trouvait à la fin le procès-verbal de la honteuse fraude, le magistrat prenant dans la main des diables femelles la pièce sans réplique qui constatait leur infamie.
Revenons à la misérable Madeleine. Le pénitencier d'Évreux, son ennemi, qui l'avait fait piquer (en marquant la place aux aiguilles ! p. 67), l'emportait, comme sa proie, au fond de l' in pace épiscopal de cette ville. Sous une galerie souterraine plongeait une cave, sous la cave une basse-fosse où la créature humaine fut mise dans les ténèbres humides. Ses terribles compagnes, comptant qu'elle allait crever là, n'avaient pas même eu la charité de lui donner un peu de linge pour panser son ulcère (p. 45). Elle en souffrait et de douleur et de malpropreté, couchée dans son ordure. La nuit perpétuelle était troublée d'un va-et-vient inquiétant de rats voraces, redoutés aux prisons, sujets à manger des nez, des oreilles.
Mais l'horreur de tout cela n'égalait pas encore celle que lui donnait son tyran, le pénitencier. Il venait chaque jour dans la cave au-dessus, parler au trou de l' in pace , menacer, commander, et la confesser malgré elle, lui faire dire ceci et cela contre d'autres personnes. Elle ne mangeait plus. Il craignit qu'elle n'expirât, la tira un moment de l' in pace , la mit dans la cave supérieure. Puis, furieux du factum d'Yvelin, il la remit dans son égout d'en bas.
La lumière entrevue, un peu d'espoir saisi, et perdu tout à coup, cela combla son désespoir. L'ulcère s'était fermé, et elle avait plus de force. Elle fut prise au cœur d'un furieux désir de la mort. Elle avalait des araignées, vomissait seulement, n'en mourait pas. Elle pila du verre, l'avala. En vain. Ayant trouvé un méchant fer coupant, elle travailla à se couper la gorge, ne put. Puis, prit un endroit mou, le ventre, et s'enfonça le fer dans les entrailles. Quatre heures durant, elle poussa, tourna, saigna. Rien ne lui réussit. Cette plaie même se ferma bientôt. Pour comble, la vie si odieuse lui revenait plus forte. La mort du cœur n'y faisait rien.
Elle redevint une femme, hélas ! et désirable encore, une tentation pour ses geôliers, valets brutaux de l'évêché, qui, malgré l'horreur de ce lieu, l'infection et l'état de la malheureuse, venaient se jouer d'elle, se croyaient tout permis sur la sorcière. Un ange la secourut, dit-elle. Elle se défendit des hommes et des rats. Mais elle ne se défendit pas d'elle-même. La prison déprave l'esprit. Elle rêvait le diable, l'appelait à la visiter, implorait le retour des joies honteuses, atroces, dont il la navrait à Louviers. Il ne daignait plus revenir. La puissance des songes était finie en elle, les sens dépravés, mais éteints. D'autant plus revint-elle au désir
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