La Sorcière
du suicide. Un geôlier lui avait donné une drogue pour détruire les rats du cachot. Elle allait l'avaler, un ange l'arrêta (un ange ou un démon ?) qui la réservait pour le crime.
Tombée dès lors à l'état le plus vil, à un indicible néant de lâcheté, de servilité, elle signa des listes interminables de crimes qu'elle n'avait pas faits. Valait-elle la peine qu'on la brûlât ? Plusieurs y renonçaient. L'implacable pénitencier seul y pensait encore. Il offrit de l'argent à un sorcier d'Évreux qu'on tenait en prison s'il voulait témoigner pour faire mourir Madeleine (p. 68).
Mais on pouvait désormais se servir d'elle pour un bien autre usage, en faire un faux témoin, un instrument de calomnie. Toutes les fois qu'on voulait perdre un homme, on la traînait à Louviers, à Évreux. Ombre maudite d'une morte qui ne vivait plus que pour faire des morts. On l'amena ainsi pour tuer de sa langue un pauvre homme, nommé Duval. Le pénitencier lui dicta, elle répéta docilement ; il lui dit à quel signe elle reconnaîtrait Duval qu'elle n'avait jamais vu. Elle le reconnut et dit l'avoir vu au sabbat. Par elle, il fut brûlé !
Elle avoue cet horrible crime, et frémit de penser qu'elle en répondra devant Dieu. Elle tomba dans un tel mépris, qu'on ne daigna plus la garder. Les portes restaient grandes ouvertes ; parfois elle en avait les clefs. Où aurait-elle été, devenue un objet d'horreur ? Le inonde, dès lors, la repoussait, la vomissait ; son seul monde était son cachot.
Sous l'anarchie de Mazarin et de sa bonne dame, les Parlements restaient l'unique autorité. Celui de Rouen, jusque-là le plus favorable au clergé, s'indigna cependant de l'arrogance avec laquelle il procédait, régnait, brûlait. Une simple décision d'évêque avait fait déterrer Picart, jeter à la voirie. Maintenant on passait au vicaire Boullé, et on lui faisait son procès. Le parlement écouta la plainte des parents de Picart, et condamna l'évêque d'Évreux à le replacer à ses frais au tombeau de Louviers. Il fit venir Boullé, se chargea du procès, et à cette occasion tira enfin d'Évreux la misérable Madeleine, et la prit aussi à Rouen.
On craignait fort qu'il ne fit comparaître et le chirurgien Yvelin et le magistrat qui avait pris en flagrant délit la fraude des religieuses. On courut à Paris. Le fripon Mazarin protégea les fripons ; toute l'affaire fut appelée au Conseil du roi, tribunal indulgent qui n'avait point d'yeux, point d'oreilles, et dont la charge était d'enterrer, d'étouffer, de faire la nuit en toute chose de justice.
En même temps, des prêtres doucereux, aux cachots de Rouen, consolèrent Madeleine, la confessèrent, lui enjoignirent pour pénitence de demander pardon à ses persécutrices, les religieuses de Lorviers. Dès lors, quoi qu'il advint, on ne put plus faire témoigner contre elles Madeleine ainsi liée, Triomphe du clergé. le capucin Esprit de Bosroger, un des fourbes exorcistes, a chanté ce triomphe dans sa Piété affligée , burlesque monument de sottise où il accuse, sans s'en apercevoir, les gens qu'il croit défendre. On a vu un peu plus haut (dans une note) le beau texte du capucin où il donne pour leçons des anges les maximes honteuses qui eussent effrayé Molinos.
La Fronde fut, je l'ai dit, une révolution d'honnêteté. Les sots n'ont vu que la forme, le ridicule ; le fond, très-grave, fut une réaction morale. En août 1647, au premier souffle libre, le parlement passa outre, trancha le nœud. Il ordonna : 1° qu'on détruisît la Sodome de Louviers, que les filles dispersées fussent remises à leurs parents ; 2° que désormais les évêques de la province envoyassent quatre fois par an des confesseurs extraordinaires aux maisons de religieuses pour rechercher si ces abus immondes ne se renouvelaient point.
Cependant il fallait une consolation au clergé. On lui donna les os de Picart à brûler, et le corps vivant de Boullé, qui, ayant fait amende honorable à la cathédrale, fut traîné sur la claie au Marché aux poissons, où il fut dévoré clos flammes (21 août 1647). Madeleine, ou plutôt son cadavre, resta aux prisons de Rouen.
19. Il était trop facile de tromper celles qui désiraient l'être. Le célibat était alors plus difficile qu'au moyen âge, les jeûnes, les saignées monastiques ayant diminué. Beaucoup mouraient de cette vie cruellement inactive et de pléthore nerveuse. Elles ne cachaient guère leur
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