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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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demanda à ses parents qu'on payât pour la Laugier les frais d'apprentissage chez une couturière, et tel était son ascendant, qu'ils ne refusèrent pas cette grosse dépense. Sa piété, son charmant petit cœur la rendaient toute-puissante. Sa charité était passionnée ; elle ne donnait pas seulement ; elle aimait. Elle eût voulu que cette Laugier fût parfaite. Elle l'avait volontiers près d'elle, la couchait souvent avec elle. Toutes deux avaient été reçues dans les filles de Sainte-Thérèse , un tiers ordre que les carmes avaient organisé. Mademoiselle Cadière en était l'exemple, et, à treize ans, elle semblait une carmélite accomplie. Elle avait emprunté d'une visitandine des livres de mysticité qu'elle dévorait. La Laugier, à quinze ans, faisait un grand contraste ; elle ne voulait rien faire, rien que manger et être belle. Elle l'était, et pour cela on l'avait faite sacristine de la chapelle de Sainte-Thérèse. Occasion de grandes privautés avec les prêtres ; aussi, quand sa conduite lui mérita d'être chassée de la congrégation, une autre autorité, un vicaire général, s'emporta jusqu'à dire que, si elle l'était, on interdirait la chapelle (p. 36, 37).
    Toutes deux elles avaient le tempérament du pays, l'extrême agitation nerveuse, et dès l'enfance, ce qu'on appelait des vapeurs de mère (de matrice). Mais le résultat était opposé : fort charnel chez la Laugier, gourmande, fainéante, violente ; tout cérébral chez la pure et douce Catherine, qui, par suite de ses maladies ou de sa vive imagination qui absorbait tout en elle, n'avait aucune idée du sexe. « A vingt ans, elle en avait sept » Elle ne songeait à rien qu'à prier et donner, ne voulait point se marier. Au mot de mariage elle pleurait, comme si on lui eût proposé de quitter Dieu.
    On lui avait prêté la vie de sa patronne, sainte Catherine de Gènes, et elle avait acheté le Château de l'âme de sainte Thérèse. Peu de confesseurs la suivaient dans cet essor mystique. Ceux qui parlaient gauchement de ces choses lui faisaient mal. Elle ne put garder ni le confesseur de sa mère, prêtre de la cathédrale, ni un carme, ni le vieux jésuite Sabatier. A seize ans, elle avait un prêtre de Saint-Louis, de haute spiritualité. Elle passait des jours à l'église, tellement que sa mère, alors veuve, qui avait besoin d'elle, toute dévote qu'elle était, la punissait à son retour. Ce n'était pas sa faute. Elle s'oubliait dans ses extases. Les filles de son âge la tenaient tellement pour sainte, que parfois, à la messe, elles crurent voir l'hostie, attirée par la force d'amour qu'elle exerçait, voler à elle et d'elle-même se placer dans sa bouche.
    Ses deux jeunes frères étaient disposés fort diversement pour Girard. L'aîné, chez les Prêcheurs, avait pour le jésuite l'antipathie naturelle de l'ordre de Saint-Dominique. L'autre, qui, pour être prêtre, étudiait chez les jésuites, regardait Girard comme un saint, un grand homme ; il en avait fait son héros. Elle aimait ce jeune frère, comme elle, maladif. Ce qu'il disait sans cesse de Girard dut agir. Un jour, elle le rencontra dans la rue ; elle le vit, si grave, mais si bon et si doux qu'une voix intérieure lui dit : Ecce homo (le voici, l'homme qui doit te conduire). le samedi, elle alla se confesser à lui, et il lui dit : « Mademoiselle, je vous attendais. » Elle fut surprise et émue, ne songea nullement que son frère eût pu l'avertir, mais pensa que la voix mystérieuse lui avait parlé aussi, et que tous deux partageaient cette communion céleste des avertissements d'en haut (p. 81, 383).
    Six mois d'été se passèrent sans que Girard, qui la confessait le samedi, fit aucun pas vers elle. Le scandale du vieux Sabatier l'avertissait assez. Il eût été de sa prudence de s'en tenir au plus obscur attachement, à la Guiol, il est vrai, bien mûre, mais ardente et diable incarné.
    C'est la Cadière qui s'avança vers lui innocemment. Son frère, l'étourdi Jacobin, s'était avisé de prêter à une dame et de faire courir dans la ville une satire intitulée La Morale des Jésuites . Ils en furent bientôt avertis. Sabatier jure qu'il va écrire en cour, obtenir une lettre de cachet pour enfermer le jacobin. Sa sœur se trouble, s'effraye ; elle va, les larmes aux yeux, implorer le P. Girard, le prier d'intervenir. Peu après, quand elle y retourne, il lui dit : « Rassurez-vous : votre frère n'a rien à

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