La Sorcière
épreuve pour la Cadière et grande agitation d'esprit. D'une part, elle savait à fond la maxime de Girard : Qu'en un saint, tout acte est saint. Mais, d'autre part, son honnêteté naturelle, toute son éducation antérieure, l'obligeaient à croire qu'une tendresse excessive pour la créature était toujours un péché mortel. Cette perplexité douloureuse entre deux doctrines acheva la pauvre fille, lui donna d'horribles tempêtes, et elle se crut obsédée du démon.
Là parut encore son bon cœur. Sans humilier Girard, elle lui dit qu'elle avait la vision d'une âme tourmentée d'impureté et de péché mortel, qu'elle se sentait le besoin de sauver cette âme, d'offrir au diable victime pour victime, d'accepter l' obsession et de se livrer à sa place. Il ne le lui défendit pas, lui permit d'être obsédée, mais pour un an seulement (novembre 1729).
Elle savait, comme toute la ville, les scandaleuses amours du vieux P. Sabatier, insolent, furieux, nullement prudent comme Girard. Elle voyait le mépris où les jésuites (qu'elle croyait le soutien de l'Église) ne pouvaient manquer de tomber. Elle dit un jour à Girard : « J'ai eu une vision ; une mer sombre, un vaisseau plein d'âmes, battu de l'orage des pensées impures, et sur le vaisseau deux jésuites. J'ai dit au Rédempteur que je voyais au ciel : « Seigneur ! sauvez-les, noyez-moi... Je prends sur moi tout le naufrage. » Et le bon Dieu me l'accorda. »
Jamais, dans le cours du procès et lorsque Girard, devenu son cruel ennemi, poursuivit sa mort, elle ne revint là-dessus. Jamais elle n'expliqua ces deux paroles de sens si transparent. Elle eut cette noblesse de n'en pas dire un mot. Elle s'était dévouée. A quoi ? sans doute à la damnation. Voudra-t-on dire que, par orgueil, se croyant impassible et morte, elle défiait l'impureté que le démon infligeait à l'homme de Dieu. Mais il est très-certain qu'elle ne savait rien précisément des choses sensuelles ; qu'en ce mystère elle ne prévoyait rien que douleurs, tortures du démon. Girard était bien froid, et bien indigne de tout cela. Au lieu d'être attendri, il se joua de sa crédulité par une ignoble fraude. Il lui glissa dans sa cassette un papier, où Dieu lui disait que, pour elle, effectivement il sauverait le vaisseau. Mais il se garda d'y laisser cette pièce ridicule ; en la lisant et relisant, elle aurait pu s'apercevoir qu'elle était fabriquée. L'ange qui apporta le papier, un jour après le remporta.
Avec la même indélicatesse, Girard, la voyant agitée et incapable de prier, lui permit légèrement de communier tant qu'elle voudrait, tous les jours, dans différentes églises. Elle n'en fut que plus mal. Déjà pleine du démon, elle logeait ensemble les deux ennemis. A force égale, ils se battaient en elle. Elle croyait éclater et crever. Elle tombait, s'évanouissait, et restait ainsi plusieurs heures. En décembre, elle ne sortit plus guère, même de son lit.
Girard eut un trop bon prétexte pour la voir. Il fut prudent, s'y faisant toujours conduire par le petit frère, du moins jusqu'à la porte. La chambre de la malade était au haut de la maison. La mère restait à la boutique discrètement. Il était seul, tant qu'il voulait, et, s'il voulait, tournait la clef. Elle était alors très-malade. Il la traitait comme un enfant ; il l'avançait un peu sur le devant du lit, lui tenait la tête, la baisait paternellement. Tout cela reçu avec respect, tendresse, reconnaissance.
Très-pure, elle était très-sensible. A tel contact léger qu'une autre n'eût pas remarqué, elle perdait connaissance ; un frôlement près du sein suffisait. Girard en fit l'expérience, et cela lui donna de mauvaises pensées. Il la jetait à volonté dans ce sommeil, et elle ne songeait nullement à s'en défendre, ayant toute confiance en lui, inquiète seulement, un peu honteuse de prendre avec un tel homme tant de liberté et de lui faire perdre un temps si précieux. Il y restait longtemps. On pouvait prévoir ce qui arriva. La pauvre jeune fille, toute malade qu'elle était, n'en porta pas moins à la tête de Girard un invincible enivrement. Une fois, en s'éveillant, elle se trouva dans une posture très-ridiculement indécente ; une autre, elle le surprit qui la caressait. Elle rougit, gémit, se plaignit. Mais il lui dit impudemment : « Je suis votre maître, votre Dieu... Vous devez tout souffrir au nom de l'obéissance. » Vers Noël, à la grande
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