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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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vivre. »
    Elle eut la petite vérole, et en resta un peu marquée. On ne sait si elle fut belle. Ce qui est sûr, c'est qu'elle était gentille, ayant tous les charmants contrastes des jeunes Provençales et leur double nature. Vive et rêveuse, gaie et mélancolique, une bonne petite dévote, avec d'innocentes échappées. Entre les longs offices, si on la menait à la bastide avec les filles de son âge, elle ne faisait difficulté de faire comme elles, de chanter ou danser, en se passant au cou le tambourin. Mois ces jours étaient rares. Le plus souvent, son grand plaisir était de monter au plus haut de la maison (p. 24), de se trouver plus près du ciel, de voir un peu le jour, d'apercevoir peut-être un petit coin de mer, ou quelque pointe aiguë de la vaste thébaïde des montagnes. Elles étaient sérieuses dès lors, mais un peu moins sinistres, moins déboisées, avec une robe clair-semée d'arbousiers, de mélèzes.
    Cette morte ville de Toulon, au moment de la peste, comptait 26,000 habitants. Énorme masse resserrée sur un point. Et encore, de ce point, ôtez une ceinture de grands couvents adossés aux remparts, Minimes, Oratoriens, Jésuites, Capucins, Récollets, Ursulines, Visitandines, Refuge, Bernardins, Bon-Pasteur, et, tout au centre, le couvent énorme des Dominicains. Ajoutez les églises paroissiales, presbytères, évêché, etc. Le clergé occupait tout, le peuple rien pour ainsi dire 30. .
    On devine combien, sur un foyer si concentré, le fléau âprement mordit. Le bon cœur de Toulon lui fut fatal aussi. Elle reçut magnanimement des échappés de Marseille. Ils purent bien amener la peste, autant que des ballots de laine auxquels on attribue l'introduction du fléau. Les notables effrayés allaient fuir, se disperser dans les campagnes. Le premier des consuls, M. d'Antrechaus, cœur héroïque, tes retint, leur dit sévèrement : « Et le peuple, que va-t-il devenir, messieurs, dans cette ville dénuée, si les riches emportent leurs bourses ? » Il les retint et força tout le monde de rester. On attribuait les horreurs de Marseille aux communications entre habitants. D'Antrechaus essaya d'un système tout contraire. Ce fut d'isoler, d'enfermer les Toulonnais chez eux. Deux hôpitaux immenses furent créés et dans la rade et aux montagnes. Tout ce qui n'y allait pas, dut rester chez soi sous peine de mort. D'Antrechaus, pendant sept grands mois, soutint cette gageure qu'on eût cru impossible, de garder, de nourrir à domicile, une population de 26,000 âmes. Pour ce temps, Toulon fut un sépulcre. Nul mouvement que celui du matin, de la distribution du pain de porte en porte, puis de l'enlèvement des morts. Les médecins périrent la plupart, les magistrats périrent, sauf d'Antrechaus. Les en terreurs périrent. Les déserteurs condamnés les remplaçaient, mais avec une brutalité précipitée et furieuse. Les corps, du quatrième étage, étaient, la tête en bas, jetés au tombereau. Une mère venait de perdre sa fille, jeune enfant. Elle eut horreur de voir ce pauvre petit corps précipité ainsi, et, à force d'argent, elle obtint qu'on la descendit. Dans le trajet, l'enfant revient, se ranime. On la remonte ; elle survit. Si bien qu'elle fut l'aïeule de notre savant M. Brun, auteur de l'excellente histoire du port.
    La pauvre petite Cadière avait justement l'âge de cette morte qui survécut, douze ans, l'âge si vulnérable pour ce sexe. La fermeture générale des églises, la suppression des fêtes (de Noël ! si gai à Toulon), tout cela pour l'enfant était la fin du monde. Il semble qu'elle n'en soit jamais bien revenue. Toulon non plus ne se releva point. Elle garda l'aspect d'un désert. Tout était ruiné, en deuil, veuf, orphelin, beaucoup désespérés. Au milieu, une grande ombre, d'Antrechaus, qui avait vu tout mourir, ses fils, frères et collègues, et qui s'était glorieusement ruiné, à ce point qu'il lui fallut manger chez ses voisins ; les pauvres se disputaient l'honneur de le nourrir.
    La petite dit à sa mère qu'elle ne porterait jamais plus ce qu'elle avait de beaux habits, et il fallut les vendre. Elle ne voulait plus que servir les malades ; elle entraînait toujours sa mère à l'hôpital qui était au bout de leur rue. Une petite voisine de quatorze ans, la Laugier, avait perdu son père, vivait avec sa mère fort misérablement. Catherine y allait sans cesse et y portait sa nourriture, des vêtements, tout ce qu'elle pouvait. Elle

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