La Sorcière
craindre, j'ai arrangé son affaire. » Elle fut tout attendrie. Girard sentit son avantage. Un homme si puissant, ami du roi, ami de Dieu, et qui venait de se montrer si bon ! quoi de plus fort sur un jeune cœur ? Il s'aventura, et lui dit (toutefois dans sa langue équivoque) : « Remettez-vous à moi ; abandonnez-vous tout entière. » Elle ne rougit point, et, avec sa pureté d'ange, elle dit : « Oui, » n'entendant rien, sinon l'avoir pour directeur unique.
Quelles étaient ses idées sur elle ? En ferait-il une maîtresse ou un instrument de charlatanisme ? Girard flotta sans doute, mais je crois qu'il penchait vers la dernière idée. Il avait à choisir, pouvait trouver des plaisirs sans périls. Mais mademoiselle Cadière était sous une mère pieuse. Elle vivait avec sa famille, un frère marié et les deux qui étaient d'Église, dans une maison très-étroite, dont la boutique de l'aîné était la seule entrée. Elle n'allait guère qu'à l'église. Quelle que fût sa simplicité, elle sentait d'instinct les choses impures, les maisons dangereuses. Les pénitentes des jésuites se réunissaient volontiers au haut d'une maison, faisaient des mangeries, des folies, criaient en provençal : « Vivent les jésuitons ! » Une voisine que ce bruit dérangeait, vint, les vit couchées sur le ventre (5b), chantant et mangeant des beignets (le tout, dit-on, payé par l'argent des aumônes). La Cadière y fut invitée, mais elle en eut dégoût et n'y retourna point.
On ne pouvait l'attaquer que par l'âme. Girard semblait n'en vouloir qu'à l'âme seule. Qu'elle obéit, qu'elle acceptât les doctrines de passivité qu'il avait enseignées à Marseille, c'était, ce semble, son seul but. Il crut que les exemples y feraient plus que les préceptes. La Guiol, son âme damnée, fut chargée de conduire la jeune sainte dans cette ville, où la Cadière avait une amie d'enfance, une carmélite, fille de la Guiol. La rusée, pour lui inspirer confiance, prétendait, elle aussi, avoir des extases. Elle la repaissait de contes ridicules. Elle lui disait, par exemple, qu'ayant trouvé à sa cave qu'un tonneau de vin s'était gâté, elle se mit en prière et qu'à l'instant le vin redevint bon. Une autre fois, elle s'était senti entrer une couronne d'épines, mais les anges pour la consoler avaient servi un bon dîner, qu'elle mangeait avec le père Girard.
La Cadière obtint de sa mère qu'elle pût aller à Marseille avec cette bonne Guiol, et madame Cadière paya la dépense. C'était au mois le plus brûlant de la brûlante contrée, en août (1729), quand toute la campagne tarie n'offre à l'œil qu'un âpre miroir de rocs et de caillou. Le faible cerveau desséché de la jeune malade, sous la fatigue du voyage, reçut d'autant mieux la funeste impression de ces mortes de couvent. Le vrai type du genre était cette sœur Rémusat, déjà à l'état de cadavre (et qui réellement mourut). La Cadière admira une si haute perfection. Sa compagne perfide la tenta de l'idée orgueilleuse d'en faire autant, et de lui succéder.
Pendant ce court voyage, Girard, resté dans le brûlant étouffement de Toulon, avait fort tristement baissé. Il allait fréquemment chez cette petite Laugier qui croyait aussi avoir des extases, la consolait (si bien que tout à l'heure elle est enceinte !). Lorsque mademoiselle Cadière lui revint ailée, exaltée, lui, au contraire, charnel, tout livré au plaisir, lui « jeta un souffle d'amour » (p. 6, 383). Elle en fut embrasée, mais (on le voit) à sa manière, pure, sainte et généreuse, voulant l'empêcher de tomber, s'y dévouant jusqu'à mourir pour lui (septembre 1729).
Un des dons de sa sainteté, c'est qu'elle voyait au fond des cœurs. Il lui était arrivé parfois de connaître la vie secrète, les mœurs de ses confesseurs, de les avertir de leurs fautes, ce que plusieurs, étonnés, atterrés, avaient pris humblement. Un jour de cet été, voyant entrer chez elle la Guiol, elle lui dit tout à coup : « Ah ! méchante, qu'avez-vous fait ? » — « Et elle avait raison, dit plus tard la Guiol elle-même. Je venais de faire une mauvaise action. » — Laquelle ? Probablement de livrer la Laugier. On est tenté de le croire, quand on la voit l'année suivante vouloir livrer la Batarelle.
La Laugier, qui souvent couchait chez la Cadière, pouvait fort bien lui avoir confié son bonheur et l'amour du saint, ses paternelles caresses. Dure
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