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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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elle fait difficulté de croire. Girard insiste, la gronde, lui fait découvrir le côté, admire la plaie. « Et moi aussi, je l'ai, dit-il, mais intérieure. »
    La voilà obligée de croire qu'elle est un miracle vivant. Ce qui aidait à lui faire accepter une chose si étonnante, c'est qu'à ce moment la sœur Rémusat venait de mourir. Elle l'avait vue dans la gloire, et son cœur porté vers les anges. Qui lui succéderait sur la terre ? qui hériterait des dons sublimes qu'elle avait eus, des faveurs célestes dont elle était comblée ? Girard lui offrit la succession et la corrompit par l'orgueil.
    Dès lors, elle changea. Elle sanctifia vaniteusement tout ce qu'elle sentait des mouvements de nature. Les dégoûts, les tressaillements de la femme enceinte auxquels elle ne comprenait rien, elle les mit sur le compte des violences intérieures de l'Esprit. Au premier jour de carême, étant à table avec ses parents, elle voit tout à coup le Seigneur. « Je veux te conduire au désert, dit-il, t'associer aux excès d'amour de la sainte Quarantaine, t'associer à mes douleurs... » Elle frémit, elle a horreur de ce qu'il faudra souffrir. Mais seule elle peut se donner pour tout un monde de pécheurs. Elle a des visions sanglantes. Elle ne voit que du sang. Elle aperçoit Jésus comme un crible de sang. Elle-même crachait le sang, et elle en perdait encore d'autre façon. Mais en même temps sa nature semblait changée à mesure qu'elle souffrait, elle devenait amoureuse. Le vingtième jour du carême, elle voit son nom uni à celui de Girard. L'orgueil alors exalté, stimulé du sens nouveau qui lui venait, l'orgueil lui fait comprendre le domaine spécial que Marie (la femme) à sur Dieu. — Elle sent combien l'ange est inférieur au moindre saint, à la moindre sainte. — Elle voit le palais de la gloire, et se confond avec l'Agneau !... Pour comble d'illusion, elle se sent soulevée de terre, monter en l'air à plusieurs pieds. Elle peut à peine le croire, mais une personne respectée, mademoiselle Gravier, le lui assure. Chacun vient, admire, adore. Girard amène son collègue Grignet, qui s'agenouille et pleure de joie.
    N'osant y aller tous les jours, Girard la faisait venir souvent à l'église des jésuites. Elle s'y traînait à une heure, après les offices, pendant le dîner. Personne alors dans l'église. Il s'y livrait devant l'autel, devant la croix, à des transports que le sacrilège rendait plus ardents. N'y avait-elle aucun scrupule ? pouvait-elle bien s'y tromper ? Il semble que sa conscience, au milieu d'une exaltation sincère encore et non jouée, s'étourdissait pourtant déjà, s'obscurcissait. Sous les stigmates sanglants, ces faveurs cruelles de l'Époux céleste, elle commençait à sentir d'étranges dédommagements. Heureuse de ses défaillances, elle y trouvait, disait-elle, des peines d'infinie douceur et je ne sais quel flot de la Grâce « jusqu'au consentement parfait. » (p. 425, in-12.)
    Elle fut d'abord étonnée et inquiète de ces choses nouvelles. Elle en parla à la Guiol, qui sourit, lui dit qu'elle était bien sotte, que ce n'était rien, et cyniquement elle ajouta qu'elle en éprouvait tout autant.
    Ainsi ces perfides commères aidaient de leur mieux à corrompre une fille née très-honnête, et chez qui les sens retardés ne s'éveillaient qu'à grand-peine sous l'obsession odieuse d'une autorité sacrée.
    Deux choses attendrissent dans ses rêveries : l'une, c'est le pur idéal qu'elle se faisait de l'union fidèle, croyant voir le nom de Girard et le sien unis à jamais au Livre de vie. L'autre chose touchante, c'est sa bonté qui éclate parmi les folies, son charmant cœur d'enfant. Au jour des Rameaux, en voyant la joyeuse table de famille, elle pleura trois heures de suite de songer « qu'au même jour personne n'invita Jésus à dîner ».
    Pendant presque tout le carême, elle ne put presque pas manger ; elle rejetait le peu qu'elle prenait. Aux quinze derniers jours, elle jeûna entièrement, et arriva au dernier degré de faiblesse. Qui pourrait croire que Girard, sur cette mourante qui n'avait plus que le souffle, exerça de nouveaux sévices ? Il avait empêché ses plaies de se fermer. Il lui en vint une nouvelle au flanc droit. Et enfin au vendredi saint, pour l'achèvement de sa cruelle comédie, il lui fit porter une couronne de fil de fer, qui, lui entrant dans le front, lui faisait couler sur le visage des gouttes de sang.

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