La Sorcière
Tout ce la sans trop de mystère. Il lui coupa d'abord ses longs cheveux, les emporta. Il commanda la couronne chez un certain Bitard, marchand du port, qui faisait des cages. Elle n'apparaissait pas aux visiteurs avec cette couronne ; on n'en voyait que les effets, les gouttes de sang, la face sanglante. On y imprimait des serviettes, on en lirait des Véroniques , que Girard emportait pour les donner sans doute à des personnes de piété.
La mère se trouva malgré elle complice de la jonglerie. Mais elle redoutait Girard. Elle commençait à voir qu'il était capable de tout, et quelqu'un de bien confident (très-probablement la Guiol) lui avait dit que, si elle disait un mot, sa fille ne vivrait pas vingt-quatre heures.
Pour la Cadière, elle ne mentit jamais là-dessus. Dans le récit qu'elle a dicté de ce carême, elle dit expressément que c'est une couronne à pointes qui, enfoncée dans sa tête, la faisait saigner.
Elle ne cacha pas non plus l'origine des petites croix qu'elle donnait à ses visiteurs. Sur un modèle fourni par Girard, elle les commanda à un de ses parents, charpentier de l'Arsenal.
Elle fut, le vendredi saint, vingt-quatre heures dans une défaillance qu'on appelait une extase, livrée aux soins de Girard, soins énervants, meurtriers. Elle avait trois mois de grossesse. Il voyait déjà la sainte, la martyre, la miraculée, la transfigurée, qui commençait à s'arrondir. Il désirait et redoutait la solution violente d'un avortement. Il le provoquait en lui donnant tous les jours de dangereux breuvages, des poudres rougeâtres.
Il l'aurait mieux aimée morte ; cela l'aurait tiré d'affaire. Du moins, il aurait voulu l'éloigner de chez sa mère, la cacher dans un couvent. Il connaissait ces maisons, et savait, comme Picart ( Voir plus haut l'affaire de Louviers ), avec quelle adresse, quelle discrétion, on y couvre ces sortes de choses. Il voulait l'envoyer ou aux chartreuses de Prémole, ou à Sainte-Claire d'Ollioules. Il en parla même le vendredi saint. Mais elle paraissait si faible qu'on n'osait la tirer de son lit. Enfin, quatre jours après Pâques, Girard étant dans sa chambre, elle eut un besoin douloureux et perdit d'un coup une forte masse qui semblait du sang coagulé. Il prit le vase, regarda, attentivement à la fenêtre. Mais elle, qui ne soupçonnait nul mal à cela, elle appela la servante, lui donna le vase à vider. « Quelle imprudence ! » Ce cri échappa à Girard, et sottement il le répéta (p. 54, 388, etc.).
On n'a pas autant de détails sur l'avortement de la Laugier. Elle s'était aperçue de sa grossesse dans le carême même. Elle y avait eu d'étranges convulsions, des commencements de stigmates assez ridicules ; l'un était un coup de ciseau qu'elle s'était donné dans son travail de couturière, l'autre une dartre vive au côté (p. 38). Ses extases tout à coup tournèrent en désespoir impie. Elle crachait sur le crucifix. Elle criait contre Girard : « Où est-il, ce diable de Père, qui m'a mise dans cet état ?... Il n'était pas difficile d'abuser une fille de vingt-deux ans !... Où est-il ? Il me laisse là. Qu'il vienne ! » Les femmes qui l'entouraient étaient elles-mêmes des maîtresses de Girard. Elles allaient le chercher, et il n'osait pas venir affronter les emportements de la fille enceinte. Ces commères, intéressées à diminuer le bruit, purent, sans lui, trouver un moyen de tout finir sans éclat.
Girard était-il sorcier, comme on le soutint plus tard ? On aurait bien pu le croire en voyant combien aisément, sans être ni jeune ni beau, il avait fasciné tant de femmes. Mais le plus étrange, ce fut, après s'être tellement compromis, de maîtriser l'opinion. Il parut un moment avoir ensorcelé la ville elle-même.
En réalité, on savait les jésuites puissants ; personne ne voulait entrer en lutte avec eux. Même on ne croyait pas sûr d'en parler mal à voix basse. La masse ecclésiastique était surtout de petits moines d'ordres mendiants sans relations puissantes ni hautes protections. Les Carmes même, fort jaloux et blessés d'avoir perdu la Cadière, les Carmes se turent. Son frère le jeune jacobin, prêche par une mère tremblante, revint aux ménagements politiques, se rapprocha de Girard, enfin se donna à lui autant que le dernier frère, au point de lui prêter son aide dans une étrange manœuvre qui pouvait faire croire que Girard avait le don de la prophétie.
S'il avait à
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