la tondue
ne manquait pas. En plus des fermes à cultiver, il fallait donner un coup de main aux Mary dont les garçons, encore jeunes, n’étaient pas d’un grand secours. Yvette se sentait plus à l’aise dans l’immense cuisine des Mary aux pavés de pierre que chez elle, avec sa mère silencieuse et hostile. Et puis Élisa était une personne gaie, simple et gentille. Elle l’accueillait toujours avec le sourire et, quand elle allait y travailler, il y avait pour elle une tasse de café qui attendait toute prête, sur la nouvelle gazinière qui trônait maintenant, rivale du fourneau.
Paulette n’était pas peu fière de cette récente acquisition de ses parents, et elle disait volontiers à Yvette, quand elle lui faisait ses confidences, qu’elle en mettrait une, en premier, dans sa nouvelle maison. C’était tellement pratique, expliquait-elle, quand on travaillait dehors. Les repas étaient prêts en un tour de main, et pour le café du matin, quelle merveille ! Plus besoin d’aller chercher du bois, d’allumer le feu, on tournait un bouton et en cinq minutes, pas plus, le café était chaud !
Quel progrès ! Paulette n’en revenait pas !…
Elle n’avait pas encore osé expliquer à ses parents que Jacques et elle avaient décidé d’habiter la ferme des Ségala. Mais Èlisa, fine mouche, l’avait deviné, et à demi-mot, avait laissé entendre à Yvette qu’elle n’en était pas fâchée. Elle connaissait Clémence et, sans rien dire, se faisait beaucoup de soucis en voyant sa fille partir chez les Martin.
« Je peux bien te le dire à toi, puisque tu n’es pas sa fille, elle a un sacré caractère, la Clémence ! Et, comme Jacques est son enfant chéri, elle en aurait fait voir de toutes les couleurs à cette pauvre Paulette… J’espère que Jacques s’en aperçoit et qu’il va prendre des dispositions… Et puis… et puis après tout ce qui s’est dit pendant la guerre, je ne serais pas fâchée qu’elle coupe un peu les ponts…
— Vous voulez parler de quoi exactement ?
— Ben, de ce qui se dit, de ce qui se disait… Qu’elle avait dénoncé les uns et les autres… Qu’elle avait pris l’argent de la Belge…
— Vous en êtes sûre ?
— Personne n’en est sûr, mais dis-moi, où ont-ils trouvé tout cet argent pour acheter la ferme, les terres, restaurer leur maison et tout ce qu’on ne sait pas ?
— Ils avaient peut-être des économies. »
Yvette avait dit cela, du bout des lèvres, sans bien y croire elle-même. Èlisa s’esclaffa :
« Des économies ! Laisse-moi rire, comme nous tous… De belles économies qui nous permettent juste de joindre les deux bouts, et encore ! Elle, c’était pareil avant, et puis cela a changé d’un coup. Tu peux me dire pourquoi ? Non, ne me dis rien, je préfère ne pas savoir, d’autant plus que maintenant, Paulette va entrer dans la famille, alors je dois me taire… Oui, mais j’aimerais mieux la voir vivre loin d’elle, tu comprends ? »
Yvette inclinait la tête sans répondre et repartait le cœur lourd. D’ailleurs, en ce splendide été, tout lui paraissait hostile et pourtant, le pays se craquelait de partout. De tous côtés, la vallée s’ouvrait au modernisme, les gens voulaient sortir, changer, comme si, la guerre oubliée, ils commençaient une ère nouvelle. Un parent d’un agriculteur de Lanuéjols était monté du Midi avec une moissonneuse-batteuse. C’était la première fois qu’une telle machine apparaissait dans le coin. Tout le monde se déplaçait pour la voir fonctionner. Ceux qui avaient leurs gerbiers au bord de la route en profitaient pour lui faire battre la récolte et être les premiers à tester ses capacités. De tous les villages, les curieux s’étaient déplacés pour admirer la machine.
Elle arriva enfin, en milieu d’après-midi, dans un ronronnement assourdissant. Gros monstre jaunâtre, elle avançait lentement laissant à tous le loisir de l’admirer et de la suivre sur la route. Chacun faisait des commentaires appropriés :
« On va voir si elle ne laisse pas des grains à l’épi.
— Il faudrait voir aussi comment elle coupe !
— Oui, mais, pour ça, ce sera pour une autre fois, vu que le blé est déjà coupé !
— Il paraît que l’éteule est bien plus haute.
— C’est sûr, elle ne peut pas descendre aussi bas que nos machines !
— Et qui sait si elle ne coupe pas les grains… »
Les questions se succédaient, de plus en
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