la tondue
repartit aussi vite que le lui permettaient ses jambes qu’il sentait se dérober sous lui…
XXXII
La rupture
Le dimanche des fiançailles, Yvette s’en alla promener seule, et si elle fut déçue de ne pas voir David, elle ne se douta de rien. Bien que ce ne fut pas très fréquent, il arrivait quelquefois au jeune homme de devoir travailler le dimanche. Elle pensa qu’il n’avait pas pu la prévenir mais qu’il le ferait la semaine prochaine.
Le dimanche suivant, puis celui d’après, David ne donna pas signe de vie. Yvette, de plus en plus étonnée, commença à se poser des questions. Elle s’en ouvrit à Jacques, venu en permission spéciale pour les foins. Il passait ainsi quinze jours en famille. Celui-ci, bien, embarrassé pour lui répondre, lui proposa :
« Il doit avoir eu des empêchements.
— Mais pourquoi ne m’a-t-il rien dit ?
— Ecoute, samedi, je vais à Mende, je tâcherai de le voir… »
Le samedi, il se heurta au visage fermé de David qui lui rétorqua que toute cette affaire ne le concernait pas… Jacques, impressionné malgré lui, lui demanda d’expliquer son attitude à Yvette qui ne comprenait pas et en souffrait.
« Ça m’étonne qu’elle ne comprenne pas, ricana le jeune homme. » Il hésita, puis lui dit brusquement : « Je viendrai, demain, et je lui expliquerai. »
Le dimanche, David apparut soucieux et extrêmement nerveux. Comme la soirée passait et qu’il ne se décidait pas à parler, Yvette l’interrogea :
« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu boudes ? Pourquoi ne me parles-tu pas ? Que t’ai-je fait ? »
Il la regarda et haussa les épaules.
« Tu ne t’en doutes pas un peu… »
Sous le ton dur, Yvette se troubla. Elle ne se sentait jamais à l’aise, quand il parlait ainsi. Elle devenait une perpétuelle accusée…
« N… non…
— C’est de ton passé qu’il s’agit.
— De mon passé ! »
Elle avait crié d’une voix rauque, pleine de terreur, qui n’échappa pas à David.
« Hé oui… Tu as dû bien rire de moi quand je t’ai raconté toute mon histoire, toi qui étais dans l’autre camp, celui des bourreaux !…
— Oh, David, non, tu ne peux pas comprendre…
— Oh, mais si, je comprends même fort bien… Tu n’as jamais voulu me raconter ton passé, je sais très bien pourquoi ! Heureusement, d’autres l’ont fait pour toi et je les en remercie. »
La surprise la cloua au sol.
« Qui donc a bien pu…
— Ta mère, tout simplement !
— Ma mère !
— Ou ta belle-mère, comme tu voudras. Elle m’a ouvert les yeux, ce que tu n’avais jamais daigné faire… Oui, tu es une belle garce, sous tes dehors d’ange effarouché… »
Yvette ne disait rien. Elle s’était couchée par terre et pleurait silencieusement, véritable image de désolation. Un flot de tendresse envahit David et le poussa vers elle, mais il s’arrêta à mi-chemin et une colère sourde lui monta à la gorge au souvenir de ses parents et de sa famille, tandis que ses mains tremblaient à ne pouvoir s’arrêter.
« Ah, il est joli ton amour ! Les restes des boches, voilà ce que tu m’offrais… Et moi, l’imbécile, j’y croyais… Combien en as-tu passé, dis ? Ce devait être la belle vie, et pendant ce temps, de pauvres types qui n’avaient rien fait se faisaient trouer la peau… Et mademoiselle festoyait avec les tueurs… Ah, laisse-moi rire de ma bêtise pour m’être laissé prendre à tes gestes d’amour et de consolation, pour t’avoir fait visiter des camps dont tu avais peut-être vu l’équivalent au bras de tes amants… »
Yvette se leva précipitamment. Les larmes avaient formé un sillon noir sur son visage, elle rejeta d’un geste brusque ses cheveux en arrière et dit, d’une voix étrangement calme qui surprit David et lui imposa silence.
« Je sais ce que j’ai fait. Que tu m’accuses, que tu m’injuries, je le comprends, mais ne me dis pas que je me suis moquée de toi. Cela, jamais… Je te jure que ces histoires de juifs et de camps, je n’en avais jamais entendu parler avant la fin de la guerre. Pour dire la vérité, je ne m’en étais pas occupée. Oh, je sais, je suis sans excuses ; mais tu ne sais pas ce que c’est de quitter sa famille à seize ans sans que personne n’essaie de te retenir, si ce n’est une vieille grand-mère.
Tu ne sais pas ce que c’est que de se retrouver seule dans Paris, de travailler dans l’arrière-salle d’une
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