la tondue
auberge de six heures du matin à onze heures du soir avec des patrons acariâtres qui trouvent que tu n’en fais jamais assez… Aussi, quand tu as, par hasard, une après-midi de congé, tu es toute prête à tomber dans les bras du premier venu… Et que je te dise, il n’y en a eu qu’un qui m’a offert un peu de tendresse… Hélas, c’était un soldat allemand. Je dis bien un soldat, pas un policier. Il ne s’occupait que de l’intendance. Il n’est pas de la race de ceux qui poursuivaient tes parents, ni de celle de ceux qui les ont vendus… »
David haussa les épaules :
« Peut-être que tu as des excuses, oui, je veux bien l’admettre, mais je ne peux pas oublier mes parents… et mon frère… et Marie… Je suis malheureux, mais je dois te quitter… »
Yvette ne répondit pas et le regarda enfourcher son vélo en pensant qu’elle le voyait pour la dernière fois… Les yeux étrangement secs, elle rentra à la maison où la mère la regardait approcher avec, lui sembla-t-il, un brin d’anxiété dans les yeux. Elle doit se demander si son coup a porté, pensa la jeune fille et, instinctivement, elle se raidit et se composa un visage.
Non, elle ne lui donnerait pas la joie de savoir. Elle passa devant Clémence sans un mot et gravit l’escalier de sa chambre.
Clémence, curieuse, la suivit :
« Tu rentres bien tôt, aujourd’hui, ça ne va pas ?
— Si, pourquoi ?
— Oh, ne fais pas tant la fière… Je sais ce que tu penses, mais tu te trompes. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour ton bien. Tu aurais voulu que je te laisse épouser un juif ?
— Ah bon… Et d’où sais-tu qu’il est juif ? »
Clémence parut déconcertée un instant, mais elle reprit vite la maîtrise d’elle-même et répondit :
« Il y a des signes qui ne trompent pas.
— Oui, comme les doigts longs et le nez crochu David n’a rien de tout cela ! »
Clémence haussa les épaules :
« Tu peux te moquer. Il n’empêche que…
— Oui, je sais. Il fut un temps où tout ce qui était étranger était bon à être dénoncé… Un temps où il faisait bon prendre la fortune des juifs…
— Qu’est-ce que tu veux dire en parlant de la sorte ? Tu n’oserais pas m’accuser, quand même ! »
Yvette fit la sourde oreille et la toisa en passant devant elle.
Clémence, la terreur dans les yeux, la haine sur le visage, s’écarta prudemment et la laissa monter.
XXXIII
La moissonneuse-batteuse
Et l’été éclata dans les coquelicots des chemins. La vallée étalait, impudente, ses haies charnues et ses champs de blés lourds. Tout brillait et resplendissait. Du causse à Balduc, les pentes paraissaient s’estomper et devenir des plaines herbeuses d’où s’échappaient des bouquets d’arbres au vert plus clair…
Les bêtes revivaient. Leurs poils raides et secs tombaient, remplacés par un crin brillant et épais que la mère brossait à s’en fatiguer les bras.
Jacques avait laissé tomber son masque de froideur et son air d’indifférence. Depuis ses fiançailles, il revenait avec plaisir à la ferme car il sentait la libération proche et, pour lui, le début d’une nouvelle vie.
Depuis l’algarade de l’été précédent, on n’avait reparlé ni de tracteur ni d’emprunts, et l’atmosphère de la maison y avait gagné une certaine sérénité… Mais ce n’était que partie remise.
Et la mère, bien souvent, ne pouvait s’empêcher de poser sur son fils un regard soucieux. Clémence n’avait plus adressé la parole à Yvette depuis le dimanche mémorable de sa rupture avec David.
Cette rupture, la jeune fille la vivait mal. Au fond d’elle-même, elle sentait que, cette fois, c’était définitif. David l’aimait, elle en était certaine, mais tout son pas sé lui i nterdisait de la revoir… Elle, de son côté, ne se sentait pas le courage de lutter contre les fantômes de sa famille. Et pourtant, malgré tout, elle se sentait proche de cette femme, la mère de David, il lui semblait l’avoir toujours connue !
Ses pas la portaient souvent vers le château et elle imaginait alors la silhouette élégante passant à travers les sentiers, rasant les haies, la peur au ventre… Elle passait le temps de la sieste assise sur la mousse, face à la bâtisse imposante et silencieuse qu’elle contemplait en rêvant… Quand elle rentrait, elle surprenait le regard inquiet de son père qui n’osait lui demander d’où elle venait.
Le travail
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