la tondue
examiner d’un œil critique les tables aux nappes immaculées, ne trouva rien à redire.
Le matin du mariage, Yvette enfila une de ses robes habillées qu’elle avait gardées – elle ne savait pourquoi – et elle s’aperçut qu’elle flottait dedans et avait une mine de papier mâché. « Il faut que je parte vite , pensa-t-elle , sinon , je vais tomber malade à ressasser ainsi le passé ! » Devant son miroir, elle se maquilla soigneusement, bien qu’elle pensât que cela ne plairait pas trop à ses parents. Elle choisit une tenue sobre et stricte qui s’adaptait mieux à son état d’esprit actuel et rejoignit le reste de la famille.
Jacques, dans son costume bleu marine bien coupé, avait fière allure. Ses cheveux blonds, pour une fois disciplinés, ne retombaient pas en mèches folles sur son front. Ses bras n’avaient plus qu’un lointain rapport avec les échalas, plaisanterie favorite d’Yvette. Il ne tenait pas en place, allant et venant à travers la cuisine comme un moucheron contre une vitre.
Le père, engoncé dans son “noubia”, étrennait une chemise blanche dont les manches, trop longues, tentaient de dépasser les poignets serrés de la veste. Sa cravate bleue à rayures plus foncées lui donnait un air sérieux qui l’étonnait lui-même.
La mère, ses gants de coton à la main, était excessivement nerveuse. Elle n’avait pas jugé bon d’acheter une toilette neuve et avait enfilé sa robe noire des fêtes. Sans désapprouver officiellement ce mariage, elle ne l’approuvait pas non plus. Elle pensait que son fils aurait pu trouver mieux et toute son attitude le soulignait. Elle avait laissé la famille de Paulette faire seule les préparatifs, disant seulement avec une morgue de grande dame qu’elle payerait ce qu’il faudrait…
Jacques, connaissant son avarice, avait été très étonné ! Mais Élisa, fine mouche, ne s’y était pas laissé prendre. Et même si elle n’en avait rien laissé paraître, elle avait été profondément ulcérée par cette humiliation.
Les invités arrivaient. Seule la famille proche était prévue ; mais cela faisait encore bien du monde ! Les cousins de Mende furent les premiers, amenant la tante du Midi – celle qui avait épousé un Espagnol. Elle était venue en train. D’autres parents des villages voisins rejoindraient le cortège à la mairie ou à l’église.
Le temps, plus qu’incertain, ne se décidait pas pour la pluie, mais des rafales de vent aigre balayaient les rues, emportant le chapeau des femmes.
À la ferme, chez Paulette, c’était un brouhaha infernal. La famille de sa mère était descendue de la montagne et avait logé au hasard dans la maison. Cinq bambins qui n’avaient pas froid aux yeux s’étaient joints à Lucien et Gaston, les deux frères de la mariée.
Tous ces joyeux lurons, en habits neufs et amidonnés, s’amusaient à passer et repasser entre les groupes, là où on les attendait le moins. Ils bousculaient les uns, écartaient les autres, avant de s’étaler au milieu de la salle, poursuivis par les cris de leurs mères en furie…
Enfin, le cortège s’ébranla. Paulette, radieuse dans sa toilette immaculée, ouvrait la marche au bras de son père. Son visage aigu, où pointait un nez un peu trop fort, était plein de rires et de fossettes. Elle avançait lentement sur des talons qu’elle avait voulus très hauts et qui lui donnaient l’impression d’être sur des échasses.
Le reste de la noce suivait, plus ou moins en désordre : les enfants, tenus fermement par leurs parents, les jeunes, bavardant et riant aux éclats. Les garçons lançaient des coups d’œil connaisseurs aux filles qui, sans en avoir l’air, comparaient leurs toilettes neuves. Elles n’avaient eu que rarement l’occasion d’étrenner de nouvelles robes pendant la guerre. Aujourd’hui, la paix revenue, elles étaient fières d’exhiber tailleurs ou manteaux à la dernière mode… Après la cérémonie à la mairie, toute la noce se glissa dans les bancs de l’église. Paulette se plaça sur le prie-Dieu préparé à cet effet au milieu de la nef et attendit Jacques. Il entra le dernier, au bras de sa mère. Clémence gardait les lèvres serrées et avançait, un fugitif sourire éclairant parfois son visage pâle. En passant près du banc d’Yvette, elle posa longuement les yeux sur elle, avec un air infiniment triste et glacé.
« Tu vois , semblait-elle lui dire , je perds mon fils ,
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