La Vallée des chevaux
1
Elle était morte. Peu importait la pluie glaciale qui lui
cinglait les joues et les violentes rafales de vent qui plaquaient contre ses
jambes la peau d’ours dont elle était vêtue. Son capuchon en fourrure de
glouton rabattu sur le visage, la jeune femme continuait à avancer en jetant
des coups d’œil autour d’elle pour essayer de se repérer.
Se dirigeait-elle bien vers cette rangée d’arbres irrégulière
qu’elle avait aperçue un peu plus tôt, se détachant sur l’horizon ? Elle aurait
dû y prêter plus d’attention et regrettait que sa mémoire ne fût pas aussi
bonne que celle du Peuple du Clan. Pourquoi raisonnait-elle comme si elle
faisait encore partie du Clan ? Elle savait bien qu’elle était née
étrangère et qu’aujourd’hui, aux yeux de tous, elle était morte.
Tête baissée, elle se courbait sous le vent. Depuis que la
tempête venue du nord avait fondu sur elle en hurlant, elle cherchait désespérément
un endroit où s’abriter. Elle ne connaissait pas la région. La lune avait
parcouru un cycle complet depuis qu’elle avait quitté le clan de Broud, mais
elle ne savait toujours pas où elle allait.
« Dirige-toi vers le nord », lui avait conseillé Iza
trois ans auparavant. La nuit où elle était morte, la guérisseuse avait parlé
du continent situé au-delà de la péninsule. Elle avait insisté pour qu’elle
parte. Le jour où Broud serait le chef, avait-elle dit, il trouverait un moyen
de la faire souffrir. Iza ne s’était pas trompée ! Broud l’avait fait
souffrir et il avait même réussi à l’atteindre dans ce qu’elle avait de plus
cher au monde.
Durc est mon fils, pensa Ayla. Broud n’avait pas le droit de
nous séparer. Il n’avait aucune raison de me maudire. C’est lui qui a provoqué
la colère des esprits et le tremblement de terre qui a suivi. Ayla avait déjà
été maudite : elle savait donc à quoi s’en tenir. Mais, cette fois, tout
s’était passé si vite que les membres du Clan eux-mêmes avaient eu du mal à se
faire à l’idée qu’elle n’existait plus. Ils n’avaient pourtant pas pu empêcher
Durc de la voir au moment où elle avait quitté la caverne.
Alors que Broud l’avait maudite dans un mouvement de colère,
Brun, au contraire, avait consulté les membres du Clan avant de lancer sa
malédiction. Il avait pourtant de bonnes raisons de la maudire, mais il lui
avait laissé une chance de revenir.
Relevant la tête, Ayla s’aperçut qu’il commençait à faire
sombre : la nuit n’allait pas tarder à tomber. Malgré les touffes de carex
qu’elle avait glissées à l’intérieur de ses chausses en peau pour les isoler de
l’humidité, la neige avait fini par les détremper et elle avait les pieds tout
engourdis. La vue d’un pin tordu et rabougri la rassura.
Dans les steppes, les arbres étaient peu nombreux : ils ne
poussaient qu’aux endroits où le sol était humide. En général, une double
rangée de pins, de bouleaux ou de saules, aux troncs tordus par les rafales de
vent, signalaient la présence d’un cours d’eau. Durant la saison sèche, dans
cette région où les eaux souterraines étaient rares, la vue de ces arbres était
toujours bon signe. Et quand le vent, venu des grands glaciers du Nord,
soufflait en tempête sans qu’aucune végétation ne l’arrête, ces rideaux
d’arbres offraient une protection – aussi maigre soit-elle.
Ayla fit encore quelques pas avant d’atteindre le bord du
ruisseau, un mince filet d’eau qui courait entre les berges prises par les
glaces. Elle obliqua alors vers l’ouest, dans l’espoir qu’en aval la végétation
serait plus dense que les broussailles environnantes.
Elle avançait avec difficulté, le visage toujours protégé par
son capuchon, quand, soudain, le vent cessa de souffler. Levant les yeux, elle
s’aperçut que de l’autre côté du ruisseau, la berge se relevait pour former un
petit escarpement. Aussitôt, elle s’engagea afin de traverser l’eau glacée. Les
touffes de carex étaient impuissantes contre la morsure de l’eau glaciale mais,
au moins, elle ne sentait plus le vent. La berge, creusée par le courant, formait
une saillie qui abritait un tapis de racines et de broussailles emmêlées, et
Ayla se dirigea vers cette sorte d’auvent sous lequel la terre était à peu près
sèche.
Après avoir défait les courroies du panier qu’elle portait sur
le dos, Ayla le posa par terre, puis elle en retira une lourde peau
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