La vengeance d'isabeau
s’installa à ses pieds et Isabeau émit un petit rire en la voyant caler précautionneusement son ventre embarrassant sur ses genoux.
— Je ne sais plus qu’en faire, répliqua Marie, attendrie.
— Bientôt, tu sauras. L’épouseras-tu ?
Marie blêmit.
— Qui ? demanda-t-elle idiotement.
— Jean, bien sûr !
Marie baissa les yeux, amenant un voile de tendresse sur le visage d’Isabeau.
— Dès le jour où je l’ai vu, j’ai compris qu’il t’adorait. Regarde-moi, Marie. Je suis une vieille femme et Jean est de vingt ans mon cadet. Mon savoir le fascinait et il était sincère quand il prétendait m’aimer. Il s’en est convaincu, car entre vous il y avait Constant. Constant son ami. Constant à qui il devait aussi la vie. C’était plaisant d’être sa maîtresse. J’avais besoin de son intérêt, de son attention à un moment où tout brusquement me ramenait à mes angoisses passées. J’ai accepté ce qu’il me donnait en sachant que cela ne durerait pas. Que cela t’appartenait. Je t’aime, Marie. Tu es le prolongement de ma vie qui s’effile. Tant de fois, j’ai échoué. Tant de fois, le destin a eu raison de mes rêves. Ne laisse pas l’orgueil aveugler les tiens. Jean n’est pas parfait, mais il est loyal et fidèle. Le reste compte peu, crois-m’en. Épouse-le. Ce ne sera pas un mauvais choix.
— Je ne peux pas, grand-mère. Peut-être un jour. Pas pour l’heure.
— Quand ? demanda Isabeau.
— Quand je serai certaine d’avoir perdu Constant.
— N’est-ce point seulement l’entichement de cette âme d’enfant que tu refuses de perdre ?
— Non. Nous avons grandi ensemble, ri, pleuré ensemble, c’est sur ses lèvres que j’ai tracé mon premier baiser, certes, mais mon amour aussi a suivi cette route. Je n’ai jamais considéré Constant comme un frère. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours su qu’il resterait à mes côtés.
— Mais il ne s’y trouve pas. Et c’est à un autre que tu t’es offerte. Spontanément.
— Le désir…
— Non, Marie. Le désir est une chose. La peur, l’angoissante solitude pèsent sur les cœurs, mais, si tu aimais Constant de tout ton être, tu n’aurais pu supporter d’autre étreinte que la sienne. Crois-moi. Peut-être est-il celui dont tu rêvais, mais pas celui que ton âme a choisi en secret.
Marie resta un instant songeuse. Isabeau respecta son silence puis ajouta :
— Prends le temps d’y réfléchir. Quoi que tu décides, tu as ma bénédiction, Marie. Cette vie est la tienne. Personne, jamais, ne doit te la voler.
— Je m’en souviendrai, grand-mère.
Isabeau ferma les yeux et Marie s’éclipsa.
Le restant de la semaine fut morose. Le temps avait changé brusquement. Le froid survint sous forme de bourrasques de neige, alors que rien ne l’annonçait. En quelques heures, les sommets vallonneux de l’Auvergne furent recouverts d’un blanc laiteux et il fallut allumer les cheminées du château tant l’air qui en descendait glaçait les pièces. La fumée s’y éternisa jusqu’à ce que les conduits se réchauffent assez pour l’emporter au-dessus des toits, faisant racler les gorges, agaçant les nez, forçant à entrebâiller les fenêtres. Puis tout s’apaisa. La torpeur hivernale isola le château de Vollore et ses gens du reste de la contrée et décembre amena les préparatifs des fêtes de Noël.
Marie accoucha douze jours avant la naissance du Christ en le priant de toute son âme d’hérétique de lui laisser ses enfants. Les deux.
On les nomma Antoine et Gasparde, faux jumeaux qui ne se ressemblaient pas et qui braillaient du soir au matin, épuisant les seins de leur mère au point qu’il fallut quérir une nourrice à Thiers. Rassasiés enfin aux mamelles lourdes de la solide fermière, ils consentirent à laisser quelque repos à Marie.
Ma ne la quittait pas, veillant sur les siens avec une douceur qui avait fait très vite oublier au château sa nature de louve. Philippus ne cessait de fredonner des comptines gutturales dont il se souvenait avec attendrissement et Jean couvait sa progéniture d’un désir de paternité qui le surprenait autant que Marie.
Elle avait espéré qu’Isabeau lui remettrait une lettre de Constant en réponse à toutes celles qu’elle lui avait envoyées depuis leur séparation. Il n’avait pas écrit. Il s’activait dans le sillage de Jean Calvin, passait désormais tout son temps à
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