La vengeance d'isabeau
jouer les trouble-fête, Noirot tira sur la manche du mantel de la jeune fille. Il fallut un coup de museau de Ma pour lui faire lâcher prise et l’envoyer rouler dans l’herbe où, boudeur, il se terra le nez sur ses pattes de devant. Marie éclata d’un rire joyeux, se leva et, se tenant les reins d’une main ferme, s’en revint vers le château où la cloche sonnait le repas.
Philippus se frotta les yeux à la vue du ventre qui précédait les bras tendus de sa fille.
— Dieu du ciel, s’exclama-t-il, en prenant à pleines mains cette sphère.
Aussitôt, l’émotion le submergea et il enlaça tant qu’il put cette enfant chérie, ce qui se borna à frotter l’un contre l’autre deux ventres rebondis et scella leur complicité d’un joyeux éclat de rire. L’instant d’après, c’était Ma qu’il couvrait de sa tendresse, exprimant en un regard combien elle lui avait manqué.
Le soir même, Philippus confirma les soupçons d’Albérie en examinant Marie.
— Les battements de cœur sont bien distincts. De fait, ma fille, ils sont au moins deux à se partager ce nid-là ! La délivrance ne tardera pas.
— Deux ! Comment est-ce possible ?
— Ma foi, le père est de bonne semence. Quand arrive-t-il ?
Marie se mordit les lèvres. Philippus fronça les sourcils.
— Tu n’as rien dit à Constant, n’est-ce pas ?
Elle n’hésita qu’un instant puis lâcha tristement :
— Jean Latour est le père.
Philippus prit un air ennuyé, mais s’abstint d’émettre un jugement. Avec des gestes précis, il rangea ses instruments dans sa valise de cuir, puis s’assit au pied du lit de la jouvencelle.
— Veux-tu qu’on en parle ? demanda-t-il simplement en lui prenant les mains.
— Il n’y a rien à dire. Cela s’est passé cette nuit avant 1 votre arrivée à Vollore. J’étais effrayée, perdue. Nous nous sommes laissé gagner l’un et l’autre. Je ne lui reproche rien.
Elle haussa les épaules. Lui remercia le ciel de n’avoir pas l’intéressé sous la main pour dégourdir ses poings sur l’heure. Il avait connu lui-même bien assez de femmes dans sa vie pour savoir que l’on n’abusait pas inconsidérément d’une vierge. Jean s’était conduit comme un franc goujat et il ne perdrait pas l’occasion de le lui reprocher. Marie dut sentir sa colère, car elle supplia :
— Ne lui dis rien, je t’en prie. Il ignore ma grossesse et je ferai tout pour qu’il ne puisse s’en croire responsable.
Isabeau l’aime, je crois. Je ne veux pas causer de drame.
— Il devrait réparer.
— Je ne l’aime pas.
— Soit. Je ne m’en mêlerai pas. Mais cela coûte à mon orgueil de père.
— Songe plutôt à ta fierté d’être grand-père. Et doublement de surcroît.
— Grand-père…
Philippus embrassa les mains de Marie avec ferveur.
— J’ai bien assez d’amour et de temps à rattraper pour vous chérir tous les trois.
Isabeau et Jean arrivèrent la semaine suivante. Si Isabeau s’étonna, Jean blêmit au-delà du possible et Philippus dut se contrôler pour ne pas lui sauter au collet.
Pourtant fidèle à sa promesse, il ne broncha pas et le salua comme si de rien n’était. Isabeau quant à elle ne posa aucune question. Elle était épuisée. Malgré le beau temps qui s’éternisait sur la France, le voyage avait été difficile. Elle n’était plus jeune et avait beaucoup forci. Philippus lui recommanda la couche sur l’heure pour qu’elle puisse sans danger mettre la « chose » — comme elle persistait à l’appeler — au monde.
Isabeau s’y plia de bonne grâce et s’en remit à l’attention de sa sœur qui ne demandait pas mieux. Marie évitait soigneusement de se retrouver seule avec Jean et Philippus l’y aidait, gentiment, en se tenant autant qu’il le pouvait dans son sillage. Cela arriva pourtant.
Isabeau se sentit mal deux jours plus tard et Albérie envoya quérir Philippus. Marie voulut l’accompagner mais il refusa son aide. Le ventre d’Isabeau était bas. L’accouchement approchait et il ne voulait pas effrayer Marie. Elle se trouva seule dans le couloir, désemparée. Avant qu’elle ait pu s’y opposer, Jean la saisit par le bras. L’entraînant dans une chambre voisine, il prit soin de refermer la porte derrière eux.
— Ta fuite est un aveu, Marie, annonça-t-il sans préambule. J’ai souvent été inconséquent et futile, coureur de dot et de jupons, briguant des
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