La vengeance d'isabeau

efficacité le moindre recoin du château du nécessaire comme du superflu.
    Le roi François fut touché, autant par l’accueil qu’on lui fit que par ce minois rieur et charmant qui offrait à sa gourmandise naturelle un sourire aussi charnu qu’un fruit à croquer.
    —  Dame de Vollore, dit-il en la relevant d’une main baguée habituée à la caresse, vous comblez ma cour d’une charmante présence. Où se tient votre père, que je le félicite ?
    —  Il souhaite que vous lui pardonniez, Majesté. Il s’active pour ses affaires et n’a su que trop tard l’honneur que vous lui destiniez. Je suis seule ici avec mes enfants.
    —  Vos enfants ?
    —  Des triplés, Majesté.
    Derrière le roi, un jouvenceau parut, la mine étonnée. Marie le reconnut aussitôt. Il s’agissait du dauphin, François.
    Avec Constant, une fois, ils avaient jeté des bouses contre sa voiture. L’une d’elles l’avait atteint au pourpoint comme il descendait, causant alentour une réprobation générale. Ils n’avaient pu s’enfuir que grâce à leur agilité et étaient demeurés cachés plusieurs jours pour échapper à la sentence de mort que leur faisait encourir ce crime. Marie rougit malgré elle de ce souvenir cuisant et offrit au fils du roi une nouvelle révérence.
    Elle avait grandi et il ne pouvait la reconnaître, mais elle ne put s’empêcher comme alors de se sentir en danger.
    —  Relevez-vous, ma dame. Cet exploit de maternité honore la France. D’autres en auraient queurvé {4} . À l’inverse, vous rayonnez.
    —  C’est par l’honneur de votre présence, Majesté.
    François éclata du rire qui avait assis au-delà des frontières sa réputation de bon vivant et applaudit gaiement, amenant l’exemple en sa cour.
    Étonnée et ravie, Marie s’empourpra de nouveau jusqu’aux oreilles et resta les bras ballants, sous l’œil du dauphin qui dévorait sa gêne avec un plaisir non dissimulé.
    —  Qu’on nous amène ces chérubins. Je veux les mettre sur l’heure sous ma royale protection. Ainsi que leur père dont la semence est bien vigoureuse.
    —  Leur père s’est porté aux côtés du mien, héla ! s’empressa d’expliquer Marie, comme Bénédicte et Albérie amenaient les enfants dans leurs langes.
    —  Trois garçons ?
    —  Deux, Majesté, Gabriel, Antoine, et voici Gasparde, ma fille.
    Le roi souleva les deux mâles dans ses bras et les offrit aux regards de la cour.
    —  Prenez donc exemple sur cette jouvencelle, dames de France, et n’ayez point honte d’offrir vos culs pour la postérité. À dater de ce jour, il y aura une prime pour chaque portée de triplés !
    Un nouvel applaudissement accueillit la décision royale et Marie eut soudain l’impression de se retrouver au milieu d’une de ces farces que jouaient les gueux.
    D’autant que, s’étant frayé passage jusqu’à elle, le fou du roi, Triboulet, qu’elle connaissait bien pour être le frère de Croquemitaine, mimait avec force gestes et gémissements un accouplement simiesque pour le plus grand amusement de tous.
    François le laissa distraire ses gens puis rendit les enfants à leur nourrice. Il tapa dans ses mains pour réclamer le silence.
    —  Holà ! cria-t-il. Qu’on nous donne à boire et à manger ! Quant à vous, belle dame, restez à mes côtés et contez-moi un peu quel traitement votre époux vous fit pour si beau résultat.
    D’autorité, il la saisit par les épaules et l’entraîna. Elle se défendit d’un « Sire » à demi outré, mais cela n’eut pour effet que de faire rire le roi et ses fils qui lui emboîtaient le pas.
    Albérie avait veillé à convier jongleurs et saltimbanques et le repas fut joyeusement animé. Le vin coulait à flots et le roi François resta fidèle à sa réputation de bon vivant, pinçant les fesses et les tétons des servantes lorsqu’elles se penchaient pour poser les plats, leur volant un baiser de-ci de-là. Marie se sentait mal à l’aise, mais il la respecta.
    De fait, la jeune maîtresse du roi, Anne de Pisseleu, que Marie avait souvent vue à la boutique, la reconnut au cours du repas.
    —  N’êtes-vous point la nièce d’Isabelle de Saint-Chamond ?
    —  Si fait, avoua-t-elle.
    Le roi se retourna vers elle et l’examina vivement.
    —  J’ignorais qu’elle fût apparentée à ce coquin de Chazeron, dit-il sans malice.
    Marie se mordit les lèvres.
    —  Même un roi ne peut tout savoir, répliqua-t-elle d’un ton