La véritable histoire d'Ernesto Guevara
base était située trop près d’une base militaire !
Guevara ne suivit ni les conseils du Cubain ni ceux du Français, qui jugeait pourtant que son rapport était « ce qu’il avait écrit de mieux dans sa vie », et l’on s’en tint finalement à la première solution tout en sachant qu’elle n’était pas bonne, comme s’il fallait se décider rapidement. Debray pensa d’abord que « le Che, impatient de reprendre la vie de guérillero […] absorbé par son entraînement militaire, par la sélection du personnel de la guérilla et par la préparation des contacts futurs, n’attachait qu’un intérêt secondaire 151 à la localisation initiale du foco »… Mais l’accumulation de tant d’obstacles, de dangers, d’inconséquences et de légèretés demande une autre interprétation. Et Debray mit près de vingt ans pour admettre cette insupportable évidence : « Guevara n’était pas allé en Bolivie pour gagner mais pour perdre. Ainsi l’exigeait sa bataille spirituelle contre le monde et lui-même 152 . »
En ce qui concerne les hommes, Guevara et Castro décidèrent de travailler avec un dissident maoïste bolivien, Moïses Guevara (surprenant homonyme). Une des conditions sine qua non de l’appui des communistes était pourtant qu’il n’y eût aucune alliance entre la guérilla et les pro-Chinois. On trouva aussi une douzaine de Cubains, bien formés, pour s’engager, soit plus que l’ensemble des Boliviens. Une situation qui devait sans doute être mal supportée par ces derniers, d’autant que Guevara leur annonça que les Cubains seraient… les officiers du groupe ! Une poignée de Péruviens se joignirent à eux, qui désapprouvaient l’idée de passer de la Bolivie en Argentine plutôt qu’au Pérou, car ils jugeaient que les conditions étaient plus mûres chez eux.
Pas un seul de ceux qui accompagnaient Guevara ne connaissait la région, ses chemins, ses cours d’eau, ses obstacles.
Et le soutien clandestin urbain prenait à peine forme à La Paz.
Des clochards venus d’ailleurs
L’histoire de cette guérilla est connue. Le Journal de Bolivi e a été publié il y a longtemps. C’est un récit pathétique, loin de tous les clichés glorieux qui chantent la bravoure et la luminosité du commandant Guevara. L’amateurisme de ses soutiens urbains, le voisin qui prend les futurs guérilleros pour des trafiquants de drogue, la police qui débarque dans la propriété dès la mi-janvier, les hommes en mauvaise santé avant même d’avoir commencé la lutte armée, leur méfiance à l’égard des paysans, jugés « potentiellement dangereux », et qui les fuient ou les dénoncent à l’armée, un terrain qu’ils ne connaissent pas, des conflits entre Guevara et ses lieutenants, des désertions, les premières interventions de l’armée gouvernementale bolivienne et, très rapidement, la destruction du « camp de base » des rebelles, la guérilla qui doit se disperser en plusieurs groupes, pourchassés puis abattus par l’armée bolivienne. Tout cela est connu.
Six mois avant sa mort, alors que, déjà, la lutte est plus défensive qu’offensive, Guevara baptise sa petite troupe « Armée de libération nationale » – trois mensonges puisqu’il s’agissait de petits groupes d’hommes et non d’une armée, qu’elle ne libérerait personne et qu’elle n’était pas nationale, c’est-à-dire bolivienne, mais en majorité cubaine. Dans son « communiqué n° 4 », alors qu’elle n’est déjà plus qu’un groupe de gueux pourchassés, la fameuse Armée de libération nationale se réclame fièrement de l’internationalisme : « Tout citoyen qui approuve notre programme minimum conduisant à la Libération de la Bolivie est accepté dans les rangs des révolutionnaires avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les combattants boliviens qui constituent évidemment [!] l’immense majorité de notre mouvement »…
L’effet de ces communiqués était faible. Ce n’est pas qu’ils fussent ignorés tout à fait. On se méfia un moment dans les sphères gouvernementales d’Amérique du Sud de cette guérilla qui se donnait une allure continentale. L’Argentine ferma un temps ses frontières, le Pérou prit des précautions. Les trotskistes, les pro-Chinois et le PC annoncèrent leur soutien à la guérilla et autorisèrent leurs militants à la rejoindre individuellement. Mais personne ne viendra en fait…
Sur le terrain,
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