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La véritable histoire d'Ernesto Guevara

La véritable histoire d'Ernesto Guevara

Titel: La véritable histoire d'Ernesto Guevara Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rigoulot
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question ».
    Le Che des adolescents
    Ce faisant, ils s’aimaient… eux-mêmes et le Che a été l’occasion de construire une image individualiste, romantique, dégagée de tout devoir envers les États et même envers une patrie. Ce n’est pas Guevara que l’on fête, que l’on encense et que l’on exhibe. La théorie du foco n’intéresse pas les adolescents, ni la critique des relations commerciales de l’URSS avec les pays sous-développés ni la formation de l’Homme nouveau à travers la lutte de guérilla, ni le refus de la voie parlementaire au socialisme. Les adolescents d’aujourd’hui sont en Occident plutôt tournés vers le pacifisme et la consommation. La politique ne les intéresse guère au-delà d’un rejet de ce qui peut nuire à leur mode de vie.
    La transformation de Guevara en icône aimable a donc nécessité une mutation radicale. L’homme capable de procéder à l’exécution d’un traître d’une balle dans le crâne sans le moindre état d’âme et de présider aux tribunaux révolutionnaires a même été comparé au Christ. Au Christ mort du tableau de Mantegna mais aussi à Jésus, agitateur juif dressé contre l’empire. Comme lui, Guevara et ses douze hommes auraient refusé la « loi » de l’empire et ses idées finirent par triompher d’un Pouvoir qui dominait le monde… parce qu’il « était nécessaire qu’il en soit ainsi 157  ». Castro avait poussé à la comparaison dès octobre 1967, en affirmant que « son sang avait coulé en Bolivie pour la rédemption des exploités et des opprimés ».
    Ce n’est pas non plus ses exigences de discipline qui peuvent susciter l’enthousiasme de la jeunesse. Guevara était plus un « commissaire politique qu’un leader de masse », plus un radical manichéen qu’un être de nuances. Ceux qui abandonnaient le combat révolutionnaire étaient pour lui des traîtres, des lâches et des ambitieux qui devaient être traités comme tels. Ils n’avaient à attendre aucune indulgence d’un homme capable d’exalter, dans son message à la Tricontinentale en 1966, « la haine intransigeante de l’ennemi qui pousse au-delà des limites naturelles de l’être humain et en fait une efficace, violente, sélective et froide machine à tuer ».
    Son refus de tout moment de repos, son insistance sur les journées de travail volontaire, c’est aussi lui. On peut raisonnablement douter que la jeunesse soit prête à le suivre sur ce terrain. Le seul point sur lequel on pourrait esquisser un rapprochement entre le Christ et lui, c’est la radicalité de l’appel de l’un et de l’autre. Le Christ en appelait à laisser là les liens familiaux pour évangéliser. Guevara abandonna sa première femme pour une guerillera puis la guerillera (et ses quatre enfants) pour ouvrir un nouveau front – en fait pour y trouver la mort. Il est vrai, rappelons-nous, qu’il a écrit : « Je n’ai ni femme ni enfant ni maison ni parents ni frères. Mes amis ne sont mes amis qu’autant qu’ils pensent politiquement comme moi 158 . »
    Sans doute, Guevara se charge-t-il de la violence avec laquelle on peut vouloir réagir aux frustrations et aux injustices de la vie quotidienne et cette violence, grâce à lui, peut s’exprimer sans frais, comme au cinéma ou dans un jeu vidéo. Une sorte de violence par procuration, d’autant plus fantasmée que c’est, pour un adolescent en tout cas, de l’histoire ancienne. Sa radicalité acquiert ainsi une complicité post mortem et une quasi-légitimité. « C’est sa radicalité, son exigence d’aller au bout, sa tension, son refus de toute pause, plus que la clarté organisationnelle ou théorique, qui caractérisent sa vision 159 . » C’est ici la forme d’un message qui compte plus que son contenu.
    Le gâchis de la radicalité
    Guevara, comme Napoléon, fait partie de ce petit club d’hommes hors du commun, aux exploits indéniables, à la renommée mondiale, qui ont versé ou fait verser tant de sang et induit tant de gens à embrasser une pensée fausse et des pratiques nuisibles qu’on ne peut que regretter leur existence.
    On ne décomptera pas ici, parmi ses victimes, les soldats de l’armée de Batista ou de celle de Barientos : on nous répondrait sans doute qu’ils l’avaient bien mérité ! Des petits soldats de rien du tout qui voulaient préserver un État assurant cahin-caha une vie décente et libre pour la majorité de la population ? Qui

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