La véritable histoire d'Ernesto Guevara
l’Église et l’expansion du christianisme. Guevara mort, c’est sans doute aussi l’agitation d’une thématique résurrectionnelle. Il ressemble tant dans la mort au Christ de Mantegna ! Il n’avait pas la douceur du Sermon sur la montagne. Guevara en Bolivie, c’est plutôt le Clairon sur la montagne, la Haine à l’œuvre. Mais aussi la promesse, « au nom du Che », d’un avenir révolutionnaire pour l’Amérique latine.
Debray dit que « l’aventure de Guevara a été une aventure mystique et les derniers mois de sa vie une Passion, sa Passion révolutionnaire ». Guevara est un saint martyr si l’on veut, et plus prosaïquement un vaincu qui promet qu’il se vengera. Ils seront des millions, dixit Castro, en guise d’éloge funèbre 165 .
Mais si l’on promet qu’on reviendra des millions, c’est précisément qu’on vient d’être défait et qu’on était quelques dizaines seulement.
L’homme qui voulait…
Guevara serait un peu aussi celui qui a osé, en notre lieu et place, faire non pas ce que nous n’osions pas faire – qui aurait envie de cette vie de chien absurde ? –, mais manifester la folle passion de celui qui sait ce qu’il doit faire. Dans ce monde postmoderne où tout se vaut, nous lui devrions au moins ça : le spectacle, et maintenant le souvenir, d’une passion folle. Guevara comme souvenir d’une période où l’on croyait. Après tout, le Che vaut bien Robin des bois ou Spiderman. Le culte de Guevara, en ces temps d’irréligion occidentale, serait le signe non de notre aveuglement mais bien au contraire de notre lucidité : le Che, qui disait non au risque de la mort, qui refusait le monde tel qu’il est et voulait affronter ce qui l’empêchait de tourner, est un des derniers à croire passionnément à ce qu’il fait.
Le Che comme le souvenir nostalgique d’une période où l’on croyait à quelque chose, où l’on pouvait vouloir mourir pour défendre une conception du monde… Nous n’avons ni la foi assez forte ni le courage assez grand pour suivre ses pas. Nous avons pris nos distances avec les idéologies. Ses capacités au don de soi, son fanatisme, sa passion nous fascinent comme un paradis perdu. Et nous regrettons son absence de recul et d’esprit critique. Car nous ne sommes plus capables de passion jusqu’au fanatisme, et c’est sans doute heureux pour chacun de nous.
Un signe libre
Cette image que nous révérons correspond-elle au vrai Guevara ? Il résista aux honneurs, nous dit-on. Était-il capable de les supporter ? Il dénonça les compromis, les pauses, le repos, les plaisirs. Mais, avec son fichu caractère, était-il bien seulement capable d’autre chose que cette lutte à la vie et à la mort avec les forces de l’ordre ? Était-il seulement capable d’une autre vie que celle qui portait la haine de soi et des autres ? Et était-ce si admirable ce combat disproportionné qu’il mena ? Avait-il de quoi être fier de ce qu’il accomplit, lui qui aurait pu, en Bolivie, attendre un peu, s’assurer de bonnes liaisons avec Fidel, de bonnes armes, un bon endroit ?… Lui qui, surtout, aurait pu se demander s’il avait la moindre chance de réussir ?
Ces questions déplacées n’intéressent pas ses fans. Ils ont raison en un sens, car la critique factuelle manque quelque chose qui n’a rien à voir avec les faits, un peu comme la critique de la religion manque son but en s’appuyant sur la raison et l’expérience alors que l’objet de la critique est lié au surnaturel et à l’au-delà. Pour en finir avec le « mythe truqué » du Che, comme l’écrivait El Pais , le rappel des échecs de Guevara comme économiste, guérillero, diplomate, et comme politique, ne peut suffire.
La vérité suffit-elle jamais ? Elle concerne le vrai Guevara alors que c’est une icône qui est encensée, et la critique de ses théories sur la révolution importe peu. Y voir des généralisations hâtives de l’expérience cubaine et la nuisance qu’elles représentent comme « prêt à penser pour plusieurs générations de Latino-Américains qui sont allés allègrement au-devant de la mort sans que le sort de leurs semblables s’améliore pour autant » ne suffit pas non plus. Ni la dénonciation de son volontarisme à outrance, ni sa désinvolture – le mot est faible – à l’égard de la démocratie, ni son goût pour la violence et la mort.
Ce n’est pas cet Ernesto Guevara-là qui est
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