La véritable histoire d'Ernesto Guevara
avec l’Occident impérialiste… Après la mort du Che et le renforcement des liens de Cuba avec l’URSS, Guevara, ses valeurs, son parcours seront toujours autant de preuves que Cuba était autre chose qu’une simple puissance supplétive du « bloc socialiste », capable de contribuer sous forme de main-d’œuvre militaire aux projets stratégiques de son protecteur soviétique. Rien d’étonnant, par conséquent, que l’image du Che reste si présente à Cuba, rien d’étonnant que la télévision repasse presque en boucle les exploits du Che dans la Sierra . Il y va du rappel de la nature de la légitimité révolutionnaire et du fait que celle-ci appartient à quelques hommes qui luttaient sous la direction de Fidel Castro. La Sierra et pas le Llano. La Sierra et pas les communistes du PSP. La Révolution, dans son essence, c’est cela : une réalité endogène. Sa naissance et son triomphe ultérieur ne sont dus qu’à ces hommes qui entouraient Castro, le Lider maximo. Sans doute l’URSS a-t-elle apporté son aide, mais celle-ci n’explique pas tout. Et quand elle s’est effondrée, au début des années 1990, Cuba a pu survivre grâce à la subsistance de cet esprit de sacrifice que le Che prônait et dont il a donné l’exemple… Sans doute, le Che n’aurait guère apprécié le tourisme occidental et notamment sexuel que propose Cuba depuis quelques années, ni les inégalités criantes entre dirigeants et petit peuple, ni le conformisme ambiant. Il n’est pas sûr non plus qu’il aurait apprécié la légère mais habile inflexion donnée à son image officielle à Cuba. Dans ce qui est à ce jour son testament politique, son entretien avec Ignacio Ramonet, Castro insiste sur la fragilité du Che, ses erreurs et la protection que lui, le Maître, devait lui assurer. Il évoque même le poids que représentait cet asthmatique, qui oubliait régulièrement ses médicaments – ainsi fit-il en embarquant sur le Granma ou en s’introduisant en Bolivie –, son « mépris absolu du danger » et le fait qu’il était donc obligé, lui le commandant en chef, de refuser au Che, toujours volontaire, qu’il multiplie les missions risquées. Au fond, à l’entendre, Castro lui a sauvé la vie, car « c’est comme à pile ou face dans un combat très rapproché ». Guevara aurait fini par mourir « comme finissent par mourir tous ceux qui pratiquent la roulette russe 163 ».
Contrôlé, fragilisé, le mythe du Che n’en est pas moins toujours à l’honneur à Cuba, même si l’on ne s’en inspire plus guère. Au Che est laissée une place, et d’importance centrale. Mais la réalité castriste la contredit sans vergogne. Il est vrai que l’oubli des idéaux du Che vise la survie du pouvoir malgré l’effondrement du « camp socialiste » et la volonté d’incarner, avec la Corée du Nord, la « dernière tranchée », l’ultime môle de résistance d’un certain communisme…
Le malheur fascinant
Ici, Guevara apparaît comme un « Malgré-nous », incorporé de force à une cause qui n’est plus tout à fait la sienne. Mais puisque ce n’est pas du côté des réalisations qu’il faut chercher les raisons de la pérennité de son mythe, ni des buts recherchés, n’est-ce pas alors plutôt du côté des échecs ? Et si ce n’était pas en effet la fascination envers sa fragilité, sa vulnérabilité et son malheur qui attirait les foules ? Comme Socrate, comme Jésus, Guevara vit encore d’avoir été vaincu. C’est sa mort qui le rend si vivant. Que serait Socrate sans cette mort acceptée avec un rien de désinvolture ? La mort n’avait pas de prise sur lui. Il continuait de converser avec ses amis quelques instants avant l’exécution de la sentence qui le frappait, après avoir renvoyé sa femme, ses pleurs, son théâtre de future veuve. Si Socrate n’avait pas ignoré la mort, pas de fascination de la part de Platon, pas de Phédon, mais simplement un malin, un artiste assez habile pour faire croire qu’il accouchait les esprits, évoqué en cinq ou six lignes par Diogène Laërce. « C’est la disparition brutale, avant la quarantaine, précocité christique, qui sort du lot commun l’artiste, le politique ou la star. Qu’aurait été Pollock sans son accident-suicide, ou James Dean et même Valentino ? » s’interroge Debray 164 .
Socrate sort, et revient par l’œuvre de Platon. Jésus sort de la vie, et revient par la résurrection,
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