La ville qui n'aimait pas son roi
qu’il relut plusieurs fois. Enfin, gardant la lettre serrée au bout de ses doigts, il fixa le fils du cardinal
dans un silence monacal.
— J’aurais dû m’en douter, monsieur, dit-il finalement. Vous n’êtes pas quelqu’un d’ordinaire. Peu auraient eu le courage de faire ce que vous avez fait… mais vous me mettez dans l’embarras.
Il tourna la tête vers O.
— Marquis, M. Poulain a retrouvé son père… Il est fils naturel du cardinal de Bourbon.
O parut pétrifié à son tour et le roi lui tendit la lettre.
— Monsieur Poulain, poursuivit Henri III, les yeux mi-clos, je sais ce que je vous dois, mais je ne suis qu’un roi en fuite… Même ici, à Rouen, mon asile n’est guère sûr. Je suis contraint de me terrer dans cette affreuse forteresse tant je crains à tout moment que la ville ne tombe aux mains des ligueurs. Il serait malhabile de ma part d’annoncer qui vous êtes… Il y a quelques mois, dans cette ville, j’ai parlé au cardinal, votre père. Je lui ai demandé s’il contesterait à son neveu la couronne, puisqu’à ma mort le trône reviendrait forcément aux Bourbon. Il m’a dit que la préférence lui était due. Je lui ai répondu qu’il faisait fausse route, car ni la cour ni le parlement ne l’accepterait. Tant qu’il maintiendra cette position, les fidèles qui me restent ne comprendraient pas que je garde son fils près de moi… Or, j’ai besoin de vous, car je connais votre loyauté et vos capacités. Vous resterez donc pour tout le monde Nicolas Poulain, lieutenant du prévôt d’Île-de-France, et je vous confie la charge de lieutenant du Grand prévôt de France.
Nicolas fit signe de la tête qu’il acceptait cette décision.
— Seul M. d’O saura qui vous êtes. Sur votre titre et sur vos droits, il vous faudra attendre mon retour à Paris. Ce sera certainement long. Soyez patient.
» Monsieur Hauteville, rejoignez-vous mon beau-frère Navarre? demanda-t-il à Olivier.
— Oui, sire. Avec mon épouse nous partons pour La Rochelle. Elle a besoin de se reposer après les dures conditions d’emprisonnement qu’elle a subies.
— Mon secrétaire vous remettra une lettre pour mon cousin, revenez cet après-midi, je reçois dans la salle de l’Échiquier M. de Villeroy et des envoyés de mes bons bourgeois de Paris.
Alors que le roi paraissait plus morne et plus maladif que jamais, brièvement son regard trahit sa colère, sa honte peut-être.
Il poursuivit en baissant les yeux.
— Ne soyez pas surpris de mon attitude dans les semaines à venir. Mon cousin ne devra pas plus s’étonner, marmonna-t-il. Je n’ai guère de choix…
L’entretien était terminé.
Ils revinrent l’après-midi. La grande salle était pleine et ils restèrent au fond tandis que le roi, sur une estrade, recevait
M. de Villeroy et les représentants de la Ligue. Entre-temps, Nicolas Poulain avait rencontré M. de Richelieu et lui avait
raconté l’emprisonnement de leurs épouses ainsi que leur évasion. Il lui avait surtout parlé de Lacroix, le capitaine des
gardes de Villequier qui l’avait vendu aux Guise. Si cet homme était à la Ligue, il fallait qu’il soit rapidement mis hors
d’état de nuire. En revanche, il n’avait rien dit du cardinal de Bourbon.
Dans l’ancienne salle de l’Échiquier, M. de Villeroy présenta les articles de l’accord que la reine mère avait négocié avec
le duc de Guise et ces Messieurs de la Ligue , comme on appelait désormais les membres du conseil des Seize. Il le fit en bredouillant tant le projet était honteux pour
l’autorité du roi. Puis ce fut un représentant des Seize qui vint justifier la nouvelle magistrature de Paris etl’insurrection des barricades par le danger qu’avait couru la religion catholique. Il accusa aussi le duc d’Épernon d’être
la cause de tous ces troubles. Comme beaucoup grondaient dans la salle, le roi les fit taire avec douceur et protesta de nouveau
de sa haine pour les hérétiques et de son réel désir de les exterminer. Il annonça aussi que pour soulager son peuple, il
avait révoqué trente-six édits que ses sujets rejetaient. Enfin, il déclara qu’il était résolu à convoquer les États généraux
du royaume, à Blois.
Dans la délégation qui accompagnait M. de Villequier, Poulain avait aperçu le triple menton de M. Frinchier. À la fin de la
séance, il parvint à lui parler quelques minutes discrètement, près de la chapelle.
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