La ville qui n'aimait pas son roi
Frinchier lui expliqua à voix basse que
s’il était venu avec M. de Villeroy, c’était surtout pour informer M. de Richelieu de ce qu’il savait. Il lui apprit aussi,
pensant que cela l’intéresserait, qu’on avait découvert un cabaretier nommé Guitel, tué d’un coup de pistolet. C’était le
frère de l’hérétique emprisonné à la Conciergerie pour lequel il s’était renseigné.
Nicolas en fut profondément peiné, bien qu’il se doutât de cette mort depuis qu’il avait vu le cabaret fermé. Il demanda ensuite
à Frinchier d’aller dire à ses beaux-parents, au Drageoir Bleu, que leur fille était en sécurité.
Ayant raconté cela à Olivier, il s’interrogea avec lui sur l’attitude du roi. Ils ne savaient plus que penser après avoir entendu Henri III assurer les ligueurs de son désir d’exterminer les protestants. Pour quelle raison agissait-il ainsi? Certes, il ne tenait plus Paris, mais M. de Richelieu leur avait dit que la plupart des villes et des parlements du royaume, ainsi que la grande noblesse, étaient toujours fidèles. Le roi pouvait conduire une guerre contre Guise, simplement en s’alliant avec son cousin Navarre. Pourtant, il paraissait accepter les avanies qu’il subissait et semblait prêt à signer un accord qui le déposséderait de son royaume. C’était une situation incompréhensible.
Le lendemain, Olivier et Cassandre quittèrent Rouen pour La Rochelle. Les effusions entre les amis furent interminables. Les
deux femmes avaient appris à s’aimer durant leur emprisonnement. Caudebec appréciait Poulain, et bien sûr Nicolas et Olivier
étaient comme deux frères. Ils se promirent de se revoir rapidement pour préparer la saisie du convoi d’or destiné au duc
de Guise.
25.
Nicolas avait été pourvu par son père d’un sac d’écus bien pansu qui lui permit de s’installer, puisqu’il était parti sans
rien. Son logis formait le deuxième étage d’une belle maison aux colombages ocre et aux encorbellements soutenus par des têtes
sculptées. Plus grand que celui qu’il avait à Paris, avec deux grandes chambres, dont l’une servait de pièce d’apparat, une
cuisine et plusieurs cabinets, il était déjà meublé de lits.
Tous les jours, il se rendait au palais pour travailler avec le Grand prévôt de France. Sa charge n’était pas très différente
de celle qu’il avait à la cour de la reine mère : s’occuper des subsistances pour les gens et les bêtes ainsi que des réquisitions
de logement, et en même temps assurer la police de la cour. Le colonel des Cent Suisses de la maison du roi participait souvent
à leurs réunions de travail.
Mais à Rouen, pourtant gouvernée par le duc de Montpensier, les pouvoirs de la prévôté étaient réduits à cause des virulents
prédicateurs et des ligueurs nombreux, il fallait aussi tenir compte de l’autorité du parlement et de celle de l’archevêque,
le cardinal de Bourbon. Le roin’aurait pu faire pendre un récalcitrant sans soulever la population, aussi Richelieu agissait-il avec une extrême prudence.
Entre Nicolas Poulain et le Grand prévôt s’était nouée une relation sincère, qui n’était pas de l’amitié, mais plutôt un mélange
d’estime et de loyauté. Nicolas avait aussi remarqué la déférence que M. de Richelieu avait désormais envers lui. Le Grand
prévôt avait dû apprendre, d’une façon ou d’une autre, qui était son père.
Le premier problème de police qu’ils eurent à régler fut celui du capitaine des gardes de Villequier. Nicolas raconta au roi
que Lacroix l’avait suivi jusqu’à Paris et – sans nommer son informateur – qu’il avait révélé à Mayneville et à la duchesse
de Montpensier l’endroit où il se cachait, ce qui avait provoqué la mort de son logeur.
C’était une lourde accusation et Henri III avait convoqué Villequier et Lacroix. Poulain avait réitéré ses griefs devant eux,
mais le capitaine des gardes avait tout nié, sinon qu’il était bien à Paris à cette période pour une affaire de famille.
La réaction de Villequier avait été violente. Non seulement il n’avait pas défendu son capitaine mais il avait exigé qu’il
soit pendu sur l’heure sans jugement. Blême, Lacroix avait protesté de son innocence et demandé à être jugé. Ne pas le faire
aurait pu entraîner un mouvement de révolte de la part d’autres officiers, mais Richelieu devinait que
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