La ville qui n'aimait pas son roi
Villequier avait de
bonnes raisons pour refuser un procès où son capitaine des gardes aurait pu parler. Il proposa donc qu’il soit seulement banni
de Rouen, ce que le roi accepta.
Quelques jours plus tard, Richelieu apprit à Nicolas que les deux sœurs qu’on surnommait les Foucaudes, les filles de Jacques
Foucaud emprisonnées depuis des mois comme huguenotes, avaient été brûlées vives. Elles auraient dû être étranglées pour ne
pas souffrir mais un groupe de fanatiques furieux était monté sur l’échafaud et en avait jeté une vivante dans le brasier.
M. Rapin, le lieutenant criminel, n’était pas là pour empêcher ce crime qui avait beaucoup affecté le Grand prévôt de France. C’est à cette
occasion que Nicolas découvrit que sous son apparente férocité, Richelieu dissimulait une réelle humanité, à moins que ce
soit seulement un refus de l’intolérance.
M. Rapin avait en effet été dépouillé de son état de lieutenant criminel au début du mois de juillet et remplacé par un larron
– c’est ainsi que Richelieu nommait le nouveau lieutenant criminel – appelé La Morlière. Il faut dire que, dès fin juin, la
nouvelle assemblée du corps de ville de Paris, constituée uniquement de ligueurs et dirigée par M. de La Chapelle, avait déposé
de leurs charges tous les capitaines de quartier encore fidèles au roi.
En même temps, les négociations conduites par Villeroy et Catherine de Médicis s’étaient poursuivies entre Henri III, le duc
de Guise et la Ligue. C’est après avoir parlé de ce La Morlière que M. de Richelieu montra à Nicolas Poulain le projet d’édit
que le roi était sur le point d’accepter.
Plusieurs phrases du texte piquèrent au vif Nicolas : il y était décidé l’extermination des hérétiques et que nul prince ne
pourrait être roi en France s’il était hérétique.
— J’avoue ne pas comprendre l’attitude de Sa Majesté, fit-il amèrement. Notre monarque a les moyens de s’opposer à ce corps de ville ligueur et à M. de La Chapelle, ne serait-ce qu’en les déclarant criminels de lèse-majesté et en confisquant leurs biens, même si une telle décision ne pourrait être exécutable dans l’immédiat. Il peut aussi affronter ouvertement les Lorrains en convoquant le ban puisque les forces vives du royaume lui restent loyales. Pourquoi a-t-il décidé d’écarter son beau-frère du trône?
— Ce n’est qu’une décision sans valeur, car la loi salique s’appliquera en son heure, répliqua Richelieu d’un air sombre, tant il refusait lui aussi l’idée d’un roi protestant. Soyez cependant sûr que Sa Majesté a longuement discuté ce texte. En particulier, elle a repoussé la version de la Ligue qui écartait du trône tout prince qui avait été hérétique. Il suffirait donc que Navarre se convertisse pour qu’il accède au trône…
— Tout de même, laisser écarter et emprisonner tous les bourgeois de Paris qui lui étaient fidèles…
— Sa Majesté a toujours été réticente à utiliser la force, persuadée qu’elle parviendrait un jour à convaincre les Parisiens de sa bonté. En cela, elle se trompe, fit le Grand prévôt, et je reconnais comme vous que trop d’occasions ont été perdues. Mais ce n’est pas la seule raison… Tout d’abord, le roi est un de ces duellistes qui rompent tant qu’ils ont encore un pied ou deux derrière eux, c’est son tempérament. Mais le pied au mur, il sait contre-attaquer et vaincre. Il l’a fait à Jarnac. Ensuite… Je ne vous confie ceci, monsieur Poulain, que pour votre proximité avec les Bourbon – il eut un sourire ambigu – je sais que le roi éprouve une réelle crainte…
— Le roi aurait peur? De Guise? De la Ligue? Il a pourtant montré un éclatant courage dans le passé, à Jarnac comme vous venez de le dire, ou en Pologne… Quand il assure ne pas craindre la mort et ne viser qu’une troisième couronne au ciel, je le crois.
— Moi aussi, mais derrière Guise, derrière la Ligue, il y a l’Espagne. Henri a peur de ce que l’Espagne pourrait faire à notre pays. Sa mère lui a souvent raconté le sac de Rome, qu’elle a connu.
— Mais les Espagnols ne sont pas en guerre avec nous! Il est vrai qu’ils aident le duc et les Lorrains, mais seulement en pistoles et en ducats.
— Pas en guerre avec nous? C’est exact, mais pour combien de temps? Vous avez entendu parler de leur flotte, de l’armada qui
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