La ville qui n'aimait pas son roi
d’une église sur sa tombe.
Devenue un lieu de pèlerinage, l’église avait été complétée par une abbaye construite par le roi Dagobert où, à partir d’Hugues
Capet, les rois et les reines de France avaient été ensevelis 3 .
Très vite, pour se défendre des Normands qui arrivaient par la Seine, le bourg construit autour de l’abbaye s’était entouré
d’une enceinte crénelée et de tours et avait pris le nom de Saint-Denis. L’église, reconstruite par Suger, abbé de la ville
et puissant ministre de Louis VI, était devenue la première basilique du royaume. C’est là que Philippe Auguste s’était fait
couronner. Ce grand roi avait aussi décidé que l’étendard royal serait déposé dans la basilique où on viendrait le chercher
en cas de guerre au cri de Montjoye Saint-Denis , devenue la devise du royaume 4 .
Accueillant un grand nombre de pèlerins, bien protégée par ses murailles, située au carrefour des grandes routes de Picardie,
de Normandie et de Paris et disposant d’espace, la ville avait très tôt hébergé des foires, principalement de drapiers qui
venaient d’Europe entière. Il y avait désormais tellement d’hôtelleries pour recevoir pèlerins, marchands ou simplement des
gens de passage que Nicolas Poulain était certain qu’on ne leur prêterait aucune attention.
Malgré cela, les douze compagnons entrèrent par petits groupes et par des portes différentes afin d’être discrets. Olivier,
Cassandre et Caudebec prirent la porte de Paris, suivis une heure plus tard de Rosny et Venetianelli. Le comédien, qui craignait
d’être reconnu, s’était grimé et se fit passer pour le vieux domestique du baron : un hommeaux traits tirés et aux joues hâves, à la bouche continuellement boudeuse et aux yeux ahuris.
O, Ornano, Dimitri et Cubsac passèrent par la porte de Pontoise en contournant la ville, tandis que les autres, guidés par
Nicolas Poulain, empruntèrent au nord la porte Saint-Rémy qui débouchait directement sur l’abbaye. Caudebec, Rosny et son
valet s’installèrent à l’auberge de l’Arquebuse, sur la place Pannetiere, Montaigne, Cassandre et Olivier à celle du Grand-Cerf
et les autres prirent des logis dans l’hôtellerie de l’abbaye.
Cette hôtellerie ne recevait à l’origine que des religieux et des pèlerins auxquels elle offrait des cellules à des prix avantageux.
Mais comme elle devait aussi héberger des dignitaires de l’Église, elle disposait de beaux appartements. Ce logis des hôtes,
élevé sur deux étages, était indépendant des autres bâtiments de l’abbaye bien qu’on y entrât par la porte du cloître, un
passage fortifié en pierre de taille, crénelée et flanquée de deux tours en poivrières dont l’une était occupée par un frère
portier qui avait l’œil sur tout.
Toutes les chambres étant occupés, nos amis louèrent les appartements situés à l’étage. C’étaient des logis de grand luxe,
chacun avec deux grands lits aux rideaux en étoffe vert brun ornée de passementerie et de franges dorées. Les tables étaient
couvertes de tapis et les chaises en bois ciselées. Le marquis d’O s’installa dans le plus grand avec Dimitri et Cubsac, laissant
l’autre à Richelieu, Ornano et Nicolas Poulain.
Dès le lendemain, les douze sortirent par la porte de Paris et suivirent le grand chemin vers la capitale, une route encombrée
par des chariots de marchands, des cavaliers et des laboureurs. Le plan qu’avaient élaboré Poulain et M. de Rosny était simple :
ils devaient trouver un bosquet suffisamment vaste pour s’y cacher tous. Le jour de l’embuscade, ils y installeraient les
fourquines des arquebuses et attendraient que le convoi soit à portée. En tirant simultanément, ils élimineraient la moitié
des gardes quiaccompagnaient le transport d’or. Ensuite, ils remonteraient à cheval, et par une pistolade vigoureuse, ils abattraient le
plus possible de survivants, puis termineraient le carnage à l’épée et au couteau.
Il y aurait sans doute des marchands ou des voyageurs à proximité, mais ceux-là se tiendraient prudemment à l’écart de l’échauffourée.
Michel de Montaigne était le seul à marquer une certaine réticence à l’embuscade et à la boucherie qui suivrait.
— Les morts je ne les plains guère, dit-il au marquis d’O tandis qu’ils cherchaient un endroit favorable; mais je m’apitoie fort pour les
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