La ville qui n'aimait pas son roi
mourants. Sans doute je me compassionne trop pour les afflictions d’autrui…
— Ce seront des Espagnols, ils sont d’un parti contraire à celui de la France, lui rappela sévèrement François d’O.
— Je le sais; simplement je hais cruellement la cruauté, je ne vois pas égorger un poulet sans déplaisir, sourit Montaigne, mais soyez assuré que mon bras ne faiblira pas.
À l’angle d’un carrefour vers Aubervilliers, ils repérèrent un bois qui paraissait convenir. De cet endroit partait un chemin
qui rejoignait la grande route vers Auteuil. Ainsi, après avoir transféré l’or dans les sacs de selle sur les chevaux de rechange,
ils galoperaient vers Étampes et disparaîtraient facilement.
Les jours suivants et à tour de rôle, ils battirent la campagne vers Chantilly, Sarcelles ou Villiers-le-Bel pour repérer
le convoi pendant que les autres attendaient dans leur auberge. Chez le marquis d’O ou le baron de Rosny, on jouait aux cartes
ou aux dés (ce qui était interdit dans les salles communes des auberges, sur ordre du prévôt de l’abbaye), Cassandre et Olivier
restaient dans leur chambre, et Michel de Montaigne écrivait. Les catholiques allaient aussi écouter les offices religieux
dans l’église de l’abbaye où Sully ne se rendait que pour examiner les gisants des rois de France, s’interrogeant si un jour
son maître, Navarre, y reposerait.
Le soir, ils se retrouvaient pour souper dans le réfectoire richement meublé de dressoirs sculptés. Caudebec et Venetianelli
étaient les seuls absents. Le protestant ne venait pas, car les repas étaient précédés d’une lecture pieuse au ton particulièrement
guisard et Venetianelli préférait dîner avec le frère portier.
Dès les premiers jours, Il Magnifichino s’était attaché à explorer l’hôtellerie de l’abbaye. Autour de la cour s’étendaient des écuries, des remises, un pressoir,
une boulangerie, et le comédien, d’un naturel affable, s’était lié avec les serviteurs et principalement avec le frère portier
à qui il apprenait des tours de cartes. Ce concierge, un religieux obèse au visage rubicond et au nez semblable à un gros
chou rouge, appréciait que le comédien lui porte des flacons de vin pour souper et qu’il le suive comme un chien fidèle chaque
fois qu’il allait fermer les portes des remises, de l’écurie ou de l’hôtellerie.
Tous les soirs, le marquis d’O interrogeait les voyageurs qui venaient du sud, tant il était impatient de savoir ce qui se
passait à Blois. Une fois, il éclata de rage quand il apprit que les députés du tiers avaient demandé une baisse des tailles.
À son tour Rosny se fâcha à la nouvelle que les trois ordres discutaient pour décider ou non si le roi de Navarre était indigne
de la succession.
Par des voyageurs, ils apprirent aussi que le roi de Savoie avait profité du désordre qui régnait dans le royaume pour occuper
des garnisons françaises, ce qui échauffa fort le colonel d’Ornano. Quant à Poulain et Richelieu ils se passionnèrent durant
trois jours pour l’assassinat de la femme du prévôt de Paris, poignardée chez elle par un inconnu. Après l’annonce du crime,
ils apprirent avec stupéfaction que c’était le prévôt lui-même qui avait ordonné le meurtre, car son épouse l’avait accusé
devant le parlement d’avoir pratiqué sur elle des actes contre nature, chose qui fit beaucoup rire Cubsac et Dimitri.
Le neuvième jour, avant de partir en patrouille vers le nord avec le colonel d’Ornano, François d’O prévint NicolasPoulain que si le convoi n’arrivait pas, il rentrerait à Blois où le roi avait certainement besoin de sa présence. Ornano
annonça que lui aussi ne pouvait plus attendre.
Or, les deux hommes revinrent précipitamment après avoir vu à Sarcelle un convoi de deux chariots portant sur leurs flancs
des croix à huit branches. Il était escorté d’une vingtaine de gardes et de gentilshommes, dont des hospitaliers de Saint-Jean.
L’heure de l’action avait enfin sonné. Nicolas Poulain rassembla tout le monde chez le marquis pour préparer les derniers
détails de l’embuscade, mais c’est Venetianelli qui prit la parole le premier.
— S’ils logent dans l’hôtellerie de l’abbaye, nous pourrions nous saisir de l’or et partir avec sans violence ni massacre, fit-il.
— Comment? demanda Michel de Montaigne qui n’envisageait pas avec
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