La ville qui n'aimait pas son roi
pas pour une sotte, monsieur Poulain, fit-elle en le foudroyant du regard.
— Je ne l’ai jamais fait, Majesté.
Elle se redressa dans le lit pour s’asseoir un peu mieux.
— Monsieur Poulain, ou plutôt devrais-je dire baron de Dunois, vous devez me trouver bien affaiblie. Et pourtant, sachez que je ne le suis pas. Je suis seulement désespérée. C’est moi qui ai suggéré les États généraux, je pensais que les représentants venus de tout le royaume rendraient son autorité à mon fils. Mais le duc de Guise a été plus habile en faisant nommer députés ses fidèles. Chaque jour mon fils est humilié, et je commence à craindre pour sa vie.
Poulain resta silencieux tant il partageait ce constat.
— Je suis malade, la goutte me torture, un catarrhe m’étouffe à chaque instant, et si M. de Notredame ne m’avait pas assurée que je mourrai près de Saint-Germain, je croirais bien que je suis sur le point de finir mes jours ici. Le médecin de mon fils vient de me voir. Il ne m’a guère rassurée et m’a ordonné de rester près d’un feu jour et nuit.
— Vous avez surmonté d’autres épreuves, madame.
— Certes, mais jamais la situation n’a été aussi sombre. Monsieur Poulain, je suis malade, sans soutien. La seule personne en qui j’ai confiance ici est M. de Bezon, qui est bien âgé, et bien petit… J’ai besoin d’un homme sur qui je puisse m’appuyer, d’un homme fidèle en qui je puisse avoir une confiance totale. D’un homme de race, aussi, car il connaîtra tous les secrets du royaume. J’ai demandé à mon fils que vous restiez près de moi comme vous l’étiez à Chenonceaux.
— Je ne vous avais guère donné motif de satisfaction madame, dit Poulain, fort embarrassé. Et j’ai déjà promisà Sa Majesté d’être à ses ordres. De surcroît, vous avez M. Rapin.
— M. Rapin gardera sa charge. Je veux seulement que vous soyez près de moi. Je me demande parfois si je ne suis pas le dernier rempart de mon fils. Si on me faisait disparaître, il serait perdu. M. de Bezon vous donnera toute l’assistance dont vous aurez besoin.
Son ton était suppliant, et pour la première fois, Nicolas Poulain eut l’impression qu’elle ne jouait pas la comédie. Il s’inclina,
fort contrarié malgré tout, avant de poser une question qui lui brûlait les lèvres.
— Craignez-vous pour la vie du roi, Majesté?
— Oui… souffla-t-elle dans un accès de toux.
Il décida de parler.
— Majesté, il y a en ce moment un assassin au château. Il se nomme le capitaine Clément. Il ressemble à un clerc, mais c’est pour mieux dissimuler sa malignité. C’est lui qui commandait les écoliers et les moines durant les barricades. Il a défait les Suisses du pont Notre-Dame et il voulait prendre le Louvre. Or, il y a quelques instants, il était dans la cour en compagnie de la duchesse de Montpensier…
Elle écarquilla les yeux et parut reprendre de la vigueur.
— Che bestia! Expliquez-vous!
— C’est une longue histoire… Ce capitaine Clément avait un cousin que Mme de Montpensier a envoyé à Nérac pour occire le roi de Navarre. Celui-là a été pris et a tout raconté…
— J’ignore tout de cela, l’interrompit-elle en plissant les yeux, visiblement dubitative.
— Quand nous sommes venus vous voir avec mon ami Olivier, il vous a dit qu’il conduisait une enquête sur Belcastel. C’était vrai mais ce n’était pas la seule raison. Mgr de Navarre voulait aussi qu’il se renseigne sur l’homme qui avait essayé de le tuer à Nérac, car il se demandait si cette tentative n’était pas liée à la mort de Mgr de Condé. Olivier n’a retrouvé Clément qu’au moment des barricades et n’a pu l’interroger. En revanche, il avait constaté alorscombien ce jeune homme haïssait le roi qu’il menaçait publiquement d’assassiner. Or tout à l’heure, il l’a vu dans la cour
en compagnie du curé Boucher et de la duchesse de Montpensier. Il ne peut y avoir qu’une explication à sa présence ici.
À ces révélations, la reine resta impavide. Mais si son corps était immobile, son esprit était en furie. Ainsi Guise n’en avait pas assez! Il possédait les clefs de la ville et du château, il était lieutenant général du royaume, il disposait de quasiment tous les pouvoirs, et pourtant, dans l’ombre, il préparait l’assassinat de son fils. Qu’elle l’avait mal jugé! Pourtant, Dieu sait si elle l’avait protégé et
Weitere Kostenlose Bücher