La ville qui n'aimait pas son roi
avez été présenté, il vous avait mal jugé? C’est lui qui m’a dit de vous le dire… Il connaît désormais votre valeur, et votre fidélité, et quand je lui ai annoncé, tout à l’heure, que j’allais vous rencontrer, il m’a demandé de vous transmettre ses volontés, en attendant de vous recevoir.
Chacun était suspendu à ce que O allait annoncer.
— Parlons rond, Henri a ses défauts, nous le savons tous autour de cette table, poursuivit le marquis, mais il n’a jamais été un ingrat. Au contraire, il a toujours récompensé ceux qui le servent, même si beaucoup ne lui ont pas été fidèles ensuite. Hélas, en ce moment, il est pauvre et n’a guère de moyens. S’il disposait d’une abbaye, il vous l’aurait volontiers offerte, mais il n’a rien. Aussi, il a songé à une autre récompense, monsieur Venetianelli.
» Jadis existait une ancienne milice créée par Philippe Auguste, celle des Francs-archers. Les Francs-archers étaient des
roturiers anoblis. C’était une manière d’acquérir la noblesse, et de la transmettre. Sa Majesté a décidé de vous nommer Franc-archer
avec des gages de trois cents écus. Vos lettres d’anoblissement seront transmises à la Chambre des comptes qui siège ici.
Vous n’aurez plus qu’à acheter un fief.
Venetianelli était un comédien accompli, capable de simuler n’importe quelle expression, et impossible à prendre en défaut.
Pourtant, durant quelques secondes, vaincu par un flot d’émotions, le masque du bateleur s’effaça. Il resta d’abord interdit,
la bouche ouverte comme un poissonsorti de l’eau, puis son visage s’illumina et il afficha un sourire rayonnant.
Noble! Il était noble! En un instant, et pour la première fois de sa vie, il avait un avenir. Il épouserait Serafina. Elle serait dame.
— Poursuivez, maintenant, fit le marquis.
— Excusez-moi, monsieur. Je suis tout remué par ce que vous venez de m’annoncer…
Le comédien inspira profondément, comme pour se dominer, et reprit :
— Le voyage vers Paris fut pénible, vous vous en doutez, car la pluie tomba sans discontinuer, mais grâce à l’or de Mgr de Guise, nous avons pu le faire assez confortablement. En revanche, toute la troupe avait désormais compris mon rôle. Le premier soir, dans la chambre de notre auberge, ils m’ont dit qu’ils voulaient connaître la vérité, puisqu’ils risquaient leur vie avec moi.
» Je leur ai avoué que j’étais au service du Grand prévôt de France, et que je ramenais dix mille écus. Je leur ai laissé le choix : continuer avec moi, avec beaucoup de risques, ou reprendre leur liberté. S’ils le souhaitaient, je leur remettrais à chacun cinq cents écus. Ils se sont tous regardés, et Sergio m’a dit : « Vous êtes dans la famille, et on ne quitte pas sa famille! »
» À Paris, on est retourné dans la tour…
O dressa un sourcil interrogateur.
— Ils logent dans la tour de l’hôtel de Bourgogne, expliqua Poulain.
Venetianelli hocha du chef.
— Les boutiques étaient fermées, il n’y avait aucune décoration. Dans les églises et aux carrefours, des prêtres ou des moines appelaient à des processions. Tout le monde devait s’y rendre en chemise, les pieds nus, malgré le froid glacial, la neige et la pluie. Nous devions tous porter des chandelles de cire ardente et chanter des psaumes pénitentiaux. Ceux qui n’y allaient pas étaient dénoncés et battus. Jamais fêtes de Noël ne furent plus tristes.
» Après plusieurs jours de ce traitement, Pulcinella est tombée malade, mais même mourante elle devait aller en procession. Quelle importance avait sa mort après le sacrifice d’un saint homme comme le cardinal de Guise? m’expliqua un prêtre. Je me suis donc rendu à l’hôtel de Guise et j’ai parlé au chevalier d’Aumale.
À nouveau, O haussa un sourcil.
— Pulcinella avait été la maîtresse du chevalier qu’elle avait connu quand nous allions jouer à l’hôtel, expliqua Venetianelli. Pour sa défense, je dois dire qu’elle n’avait pu lui résister. Il se souvenait d’elle et m’a dit qu’il donnerait des ordres au curé de Saint-Leu-Saint-Gilles pour que nous n’allions plus en procession. Grâce à lui, Pulcinella a guéri, mais nous ne pouvions plus jouer, car tous les théâtres étaient fermés. D’ailleurs un décret des Seize avait interdit de rire…
— De rire? s’étonna Olivier.
— Oui, et pour quelque occasion que
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