La ville qui n'aimait pas son roi
chènevottes au soufre, des mèches de lampe et des cornes à amadou, monseigneur. Un peu d’huile aussi.
Le visage sali par la poussière de la route, les cheveux en bataille, il portait une vieille casaque qui lui tombait aux genoux.
Ses pieds n’avaient que des sabots. C’était un pauvre homme, bien qu’il parût manger à sa faim et qu’il soit fort vigoureux.
— Qu’est-ce que tu viens faire à Paris? Il y a assez de miséreux! demanda agressivement un autre garde du guet bourgeois.
En robe comme son compagnon, celui-là était coiffé d’un vieux haubergeon et traînait son mousquet par le canon comme s’il
était trop lourd.
— Mais j’habite à Paris, monseigneur! Rue du Petit-Lion dans le quartier du Saint-Sépulcre. J’étais au mariage de mon cousin à Arcueil! J’ai même dans mon sac le pourpoint de velours que je mets le dimanche!
— Comment s’appelle ton dizenier? demanda le bourgeois en haubergeon, en plissant des yeux soupçonneux.
— Claude Semelle, répondit le colporteur en baissant le regard.
— Ça va, passe! dit le garde, satisfait de son humilité.
Olivier bénit le seigneur d’avoir entendu un soir Venetianelli nommer le dizainier de son quartier. Il jeta unœil rapide au corps cloué et entra dans la ville où il rejoignit ses amis qui l’attendaient avec un peu d’inquiétude. Venetianelli,
qui avait laissé son cheval à l’écurie de l’hôtellerie, était le seul à être entré sous son nom, en montrant une lettre de
son dizenier qui lui servait de passeport.
— Allons souper! proposa Poulain en désignant l’enseigne du Riche Laboureur.
Ils s’attablèrent à une table vide, heureux de reposer leurs muscles endoloris par la longue journée de marche depuis Longjumeau
où ils avaient rencontré les colporteurs auxquels ils avaient acheté leur matériel.
— Pauvre Saint-Malin, que le seigneur l’accueille avec indulgence, dit Poulain après avoir terminé une courte prière pour le jeune quarante-cinq qu’il avait connu insolent et plein de vie.
— J’espère qu’il était mort quand ils l’ont supplicié, fit Olivier en se signant.
— Nous sommes dans le chaudron du diable, répliqua Venetianelli à mi-voix. Une ville qui n’aime ni son roi ni ceux qui lui sont dévoués. Si nous ne voulons pas finir comme Saint-Malin, il va nous falloir être plus prudents qu’un renard.
Malgré les dangers qui les attendaient, ils dînèrent de bon appétit tout en écoutant les conversations autour d’eux. Leurs voisins parlaient surtout du siège de Senlis commencé depuis une semaine. La ville, fidèle au roi, était assiégée par M. de Mayneville et le duc d’Aumale à la tête de quatre mille soldats et de quelques milliers de volontaires ligueurs. Si Senlis tombait, ce serait une grande victoire pour la Ligue, et dans le cabaret, tout le monde était certain de la victoire. Dieu n’était-il pas avec eux?
Ils avaient résolu une première difficulté en entrant dans Paris, mais il en restait deux autres dont ils avaient longuement
débattu. La première était de se procurer des épées, des cuirasses et des pistolets. Olivier avait une idéepour y parvenir. La seconde était bien sûr le logement. Les conseils de quartier assuraient une police vigilante sur la population.
Il était impossible de loger chez l’habitant sans se faire remarquer, et encore moins dans une hôtellerie. Quant à aller à
la tour de l’hôtel de Bourgogne, c’était tout autant impossible, Venetianelli n’était même pas certain de pouvoir y rester.
Le comédien leur avait pourtant trouvé un endroit où dormir. Les théâtres étaient désertés, en particulier la salle du Petit-Bourbon
qu’il connaissait bien pour y avoir joué. L’hôtel du Petit-Bourbon, vieux bâtiment féodal longeant la Seine et séparé du Louvre
par la rue de l’Autriche, avait conservé intactes sa chapelle et sa grande salle de dix-huit toises. De part et d’autre de
cette immense pièce (la plus grande de Paris) courait une galerie à laquelle on accédait par des escaliers construits dans
des murs d’une épaisseur incroyable. À l’extrémité d’une de ces galeries se situait une petite chambre, aménagée elle aussi
dans la muraille, et qui possédait une seconde sortie par un escalier à vis débouchant derrière l’abside de la grande salle.
C’est dans cette pièce, utilisée par les acteurs pour se changer, que Venetianelli
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